ÄRSENIK : L’INTERVIEW

Scolti : Salut ÄRSENIK, Calbo, Lino. Consécration pour moi de me retrouver face à vous, face à deux artistes qui ont accompagné ma jeunesse. ÄRSENIK, c’est le groupe légendaire, membre du Secteur Ä, et qui en deux albums, sans inclure vos solos, a chamboulé le game par l’écriture, le style et la complémentarité. Tout d’abord, j’aimerais que vous expliquiez à ceux qui ne connaissent pas, qui n’ont jamais entendu parler du Secteur Ä, ce que c’était, et ce que c’est éventuellement aujourd’hui

Calbo : Le Secteur Ä, c’était un collectif de rap situé entre le 95 et Porte de la Chapelle. Tous les membres venaient un peu de ce même coin. C’était à l’initiative de Kenzy, qui était manager du Ministère A.M.E.R. qui a réuni tous ces groupes, comme les Neg’Marrons, les petits de son quartier. Donc il y avait Ministère A.M.E.R., ÄRSENIK, Gyneco. Puis on s’en est suivi Mc Janik, puis Pit Baccardi.

Ça fait beaucoup de noms, beaucoup de grands noms. C’était pas juste un petit crew, le Secteur Ä ! Il a vraiment eu son importance dans l’histoire du rap français et a vraiment eu son impact. Aujourd’hui, le rap donne beaucoup plus l’impression d’un double individualisme, à la fois parce que les artistes sont globalement solos, les groupes existent de moins en moins, et aussi parce que les crews n’existent plus ou alors sont confidentiels, on en entend peu parler. Comment vous regardez ce passage des loups solidaires aux loups solitaires ?

Lino : Ah ! Ah ! Ah ! Je viens de l’avoir en différé, là

Je te la donne

L : En fait, je pense que ce n’est pas que lié au rap, c’est dans la musique en général. Il n’y a plus beaucoup de groupes en général, toutes musiques confondues, j’ai l’impression

Mais est-ce que c’est pas tout simplement à l’image du monde ?

L : Oui, c’est pour ça qu’il y avait même à l’époque énormément de groupes de rock qui se formaient, des mecs qui faisaient des groupes

Et maintenant on est sur des gars qui travaillent seuls dans leur chambre

L : Je ne suis pas sûr qu’il y ait des groupes de rock aujourd’hui

C : Ça s’est un peu perdu, c’est sociétal

L : Je pense que ce n’est pas lié seulement au rap, c’est la société qui a changé.

Est-ce qu’au niveau du rap, ça peut venir aussi de sa gentrification ? Dans le sens où la culture des crews, c’était aussi issu de la culture des bandes, voire des gangs aux States, et que c’est plus rare de voir des bandes issues de bonnes familles ? Est-ce que cette gentrification a eu cet impact-là aussi ?

L : Oui, mais sauf que dans le rap aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il y ait des mecs de bonne famille. Qu’est-ce que tu entends par « de bonne famille » déjà ?

J’entends ce qu’on sous-entend par la gentrification. Le fait de ne pas être issu des quartiers populaires

L : D’accord. Mais dans ce que tu vois, toi, du rap aujourd’hui, est-ce que tu as l’impression qu’il y a beaucoup…Je vais parler exclusivement du mainstream, pas des groupes underground et tout, si tant est que le mot existe encore, mais dans le mainstream, est-ce que tu as l’impression que les mecs que tu vois dans le mainstream aujourd’hui, ce ne sont pas des mecs issus des quartiers ?

J’ai plus l’impression que c’est le public qui se gentrifie et qui impacte les artistes.

L : C’est exactement le point. Ce ne sont pas des artistes

Bien sûr !

L : Parce que je vois énormément de jeunes de quartier aujourd’hui qui sont très mainstream

Mais pas que. À une certaine époque, il n’y avait pas de gens issus d’ailleurs que des quartiers

L : Mais là, moi, je vois toujours une grosse majorité de mecs de quartier aujourd’hui

Par contre, le public s’est gentrifié

L : Exactement. Le point, il est là, en fait. Il y a eu un changement de public

Et est-ce qu’il faut voir cette gentrification du public comme une ouverture qu’on a peut-être pu réclamer à une certaine époque, le fait de ne pas être cantonné dans une case, ou comme un étouffement du mouvement ? Est-ce que la gentrification a contribué à l’étouffement du mouvement hip-hop ?

L : Non, c’est une évolution, mais après ça a des conséquences aussi, parce que quand on dit gentrification, ce n’est pas exclusivement que ça. Le public a changé effectivement, mais il y a beaucoup plus de femmes qui écoutent du hip hop, même beaucoup plus de jeunes. Pourquoi je dis ça ? Parce qu’à l’époque, le public avait quasiment le même âge que les artistes. Aujourd’hui, parfois, c’est un peu plus bas. T’as des artistes hip-hop qui arrivent, ils sont au concert, et t’as des gamins, même s’il a 30 piges, qui ont 13 ans. Ce qui n’était pas le cas à l’époque.

Avec des moyennes d’âge aux alentours de 18 ans

L : Exactement. Donc ça, ça emmène un changement dans la musique et dans l’approche musicale. C’est-à-dire, il faut bien plaire à ces gamins-là. Donc ils n’ont pas la même vision du rap ou du hip-hop, même si là, « hip-hop », on va le mettre de côté pour l’instant, mais la même vision du rap, que peut avoir ce mec de 30 ans. Donc lui, il va s’adapter Je pense que c’est une connerie aussi. Donc, lui va s’adapter à cette audience un peu plus jeune

À ce public-là. Et donc, il y a un changement qui se fait, forcément, y compris dans les textes, ou dans l’approche, ou dans la façon de faire. Parce qu’il y a une époque où les rappeurs dont vous faisiez partie s’adressaient à une population qui se reconnaissait dans les textes, dans l’attitude, dans le vécu, etc. Là, ce n’est pas forcément le cas. Parce que, comme tu le disais, la majorité des rappeurs sont encore issus des quartiers, mais leur public, pas forcément. Comment vous voyez cette adaptation, qui finalement lisse un peu l’ensemble, qui enlève les aspérités qu’on a pu connaître ?

C : Je pense pas que ce soit le public qui fait en sorte que ça lisse le truc. C’est un public qui est arrivé avec cette musique-là. Mais à l’époque, déjà, notre musique touchait déjà un peu au-delà du quartier, tu vois. Donc il y a des gars qui sont pas simplement issus des quartiers qui écoutaient notre musique. Mais, la différence, c’est que nous on ne s’adaptait pas. On faisait notre truc, on balançait notre délire comme il était, pur et comme il était. C’est vrai que notre musique s’adressait plus aux gens du quartier, mais c’est tout le monde qui écoutait

Mais il y avait la revendication du sans concession qui était présente

C : Voilà

Qu’il n’y a plus maintenant ?

L : La faute à qui ? Non, c’est une évolution. Comme on disait, c’est la société qui a changé, l’individualisme.

Ce n’est pas forcément une critique, je veux juste votre lecture

L : Non, mais je comprends ce que tu dis, c’est factuel. Le rap, c’est ni plus ni moins que le reflet de la société, en vérité. Il évolue avec la société. Donc ce truc-là que tu voyais, comme tu disais, solidarité et tout ça, c’est plus la même chose, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on est plus axé sur nous-mêmes, c’est plus centré sur soi-même, d’où le fait qu’il y ait moins de groupes en fait.

Vous le déplorez, vous accueillez le truc comme il vient ?

L : Tu peux pas déplorer le train en marche, ça sert à rien de le déplorer, c’est une évidence

On parle de rap, depuis tout à l’heure, est-ce que le mouvement, le hip-hop, est définitivement mort en France ?

L : Aux États-Unis aussi. Après, il faut définir. Le hip-hop, c’était fonctionnel à l’époque. Aujourd’hui, ce n’est plus fonctionnel. Parce que le hip-hop, c’est quelque chose qui regroupe plusieurs disciplines. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si on s’arrête au simple rap, ce n’est que du rap. Les mecs, limite, je ne sais même pas s’ils ont vraiment besoin d’un DJ aujourd’hui. Donc, on n’a pas besoin de danseur, de DJ, de graff. Ce qu’on appelait le hip-hop, en vérité, n’a plus raison d’être. Ça s’est dispatché un peu dans tous les trucs

J’ai l’impression qu’il y a des résidus qui existent encore aux États-Unis qui n’existent plus du tout en France, parce que c’est très culturel

L : À quel niveau aux États-Unis ? Parce qu’aux États-Unis, c’est très compliqué aujourd’hui

Vu de l’extérieur, je ne passe pas mon temps à New York, à Los Angeles ou Miami, donc je n’y suis pas, très concrètement, mais de l’extérieur j’ai l’impression que la culture est là, même au niveau du rap. Quand tu vois des albums comme le dernier album de Joey Bada$$ ou de Mobb Deep…

L : Oui, mais là, tu nous parles des trucs…

Tu sens qu’il y a la culture

L : Oui, mais là, tu nous parles de ce qu’il y a en dessous. C’est l’iceberg, ce que planque l’iceberg. Mais en haut, il y a quoi ?

C : Tout simplement parce que tout a commencé comme ça

L : Aux États-Unis, j’ai l’impression que c’est peut-être même pire qu’en France.

C : Là où tu dis qu’ils ont gardé un peu la culture, c’est parce que c’est parti de là.

Oui, mais j’ai l’impression que c’est typiquement culturel

L : Oui, mais quand tu dis ça, en France il y a des groupes qui ont gardé le truc aussi. Donc là-bas, c’est plus grand et tout. Après, on parle de proportions, mais en vérité, je pense que, autant aux États-Unis qu’ici, le hip-hop n’existe plus

Vous faites partie de ces groupes ?

L : Oui, de fait

Qui ont grandi dans cette culture et qui restent dans cette culture

L : Oui, parce qu’on vient de cette génération-là, donc c’est normal.

Est-ce que le manque de culture hip-hop, qu’on peut retrouver aussi dans le public, mais aussi chez les artistes, c’est à l’image du manque de culture tout court ?

L : C’est-à-dire ?

C’est-à-dire que c’est un reproche qui peut être fait, qui serait une espèce de biais venant de l’abrutissement des gens via les applis, etc., qui fait que, bah oui, de toute façon il n’y a pas de culture hip-hop, parce qu’il n’y a pas de culture tout court.

C : Comme tu le disais, le rap c’est vraiment le reflet de la société. Dans cette société qui est devenue plus nombriliste, avec l’IA aussi, tout ce qui est Amazon, machin, donc tout est livré, donc ça pousse un peu à l’abrutissement des masses. Et donc, ça se ressent aussi dans la musique, quoi.

L : Je ne suis pas sûr que le problème du hip-hop vienne de là. Comme je te disais, il n’y avait plus de nécessité d’avoir tout ça. C’est parti de là. Aujourd’hui, un gamin, il s’en fout du break. Mais même pas un gamin. Même en vérité, si on va être honnête, même nous, quand on a commencé, il n’y avait plus le hip-hop comme il était au départ. Ça fonctionnait encore au début, quand les NTM ont commencé avec Radio Nova et tout ça, il y avait encore cet esprit-là. Il y avait encore ce truc-là. Mais même nous, quand on est arrivés dans les années 90, fin 90, en vérité, parce qu’il faut définir ce que c’est que le hip-hop..Si on définit le hip-hop comme étant du bon rap, oui, effectivement. Mais si on définit ça comme avec les piliers, le graffiti, le DJing et tout ce qui s’ensuit, c’était déjà mort même dans les années 90.

Quand je parlais du manque de culture, je parlais aussi du manque de curiosité de savoir ce qui s’était fait avant. Il y a des jeunes dont tu parlais tout à l’heure, le fameux public dont on parlait, qui ne connaissent pas Ärsenik, parce qu’ils ne sont pas curieux d’aller chercher l’info, parce qu’ils ne s’intéressent pas à l’histoire de la musique qu’ils écoutent au quotidien. Je parlais vraiment de cette curiosité-là. C’était plus une question amorce pour savoir si on a oublié aujourd’hui que le savoir est une arme

L : Oui, bien sûr, effectivement. La problématique du trop d’informations, c’est que tu as tendance à ne pas chercher, à moins chercher, puisque toi, tu as l’impression que tout vient à toi. Ce qui se passait à l’époque, c’est qu’il fallait aller la chercher, la musique. Il fallait qu’on la cherche. On l’avait pas toute faite, arrivée comme ça. Après, il y a eu RapLine qui est arrivé. Ça nous a facilité les choses. Ou alors, il fallait avoir le câble, MTV et tout. Il y a eu MTV Rap. Mais sans ça, on n’avait rien. Il fallait que des mecs ramènent des maxis de New York. C’était un bordel total. Et puis, il y avait la radio. Il fallait capter la radio, Dee Nasty et tout ça

C : Surtout, même le style de consommation a changé. C’est-à-dire qu’à l’époque, les albums duraient longtemps, dans le temps. On avait le temps de tomber sur nos morceaux, mais aujourd’hui, c’est un peu plus fast-food, donc ça va vite. Les gens n’ont pas le temps de rembobiner

Il y a des carrières qui dépendent d’algorithmes

L : Le trop plein d’informations rend paresseux. S’il y a trop d’informations, tu n’as pas ce plaisir de rechercher, tu n’as pas ce besoin de chercher en plus. Parce que tout est là. T’allumes ton truc, il y a 72 000 groupes, tu ne vas pas chercher

Est-ce que c’est le rôle des précurseurs dont vous faites partie de transmettre ?

L : Je ne sais pas. Oui, mais on avait cette discussion-là. Il faudra me définir ce que vous appelez transmission. Parce que c’est important pour moi, parce que je ne comprends pas. Je sais ce que ça veut dire, mais la manière dont on me la présente, je ne comprends pas.

C’est la transmission d’une culture, c’est la transmission des valeurs aussi, c’est la transmission par les textes et par l’écriture, comme tu as pu le faire via tes bouquins, Calbo. C’est le fait de pouvoir, à partir du moment où il n’y a pas la curiosité d’aller chercher une info, de la faire connaître

L : C’est à nous de le faire ?

Peut-être, c’est la question que je me pose

L : Non, nous, on doit faire des disques

C’est la réponse que tu me donnes

L : Nous, la seule chose qu’on a à faire, c’est de faire des disques et de faire en sorte qu’ils soient bons. C’est la seule transmission qu’on peut faire. Je ne peux pas m’asseoir là et dire « Venez les enfants, je vais vous apprendre ce que c’est que le rap ». Ben non, ça c’est leur travail à eux

Calbo, tu l’as fait via tes livres aussi

L : Mais ça, c’est pas la même chose, c’est pas une obligation de faire des livres.

T’es pas juste un rappeur. T’es un mec

L : Je suis un artiste. Mais je suis pas obligé de faire des livres. Je suis pas obligé de parler à qui que ce soit. Je peux m’enfermer dans une grotte, faire des albums, parler à personne. Et donner ma musique. C’est mon travail

C : En gros, si tu veux, ce n’est pas donné à tout le monde déjà de partir dessus, mais moi, je pars sur un constat où on a tous une histoire. Ce que tu dis, ça me parle dans le sens où, et je comprends aussi ce que Lino dit, c’est-à-dire que là, on est encore actifs, tu vois. Donc là, on a encore des albums à faire, c’est-à-dire que l’histoire n’est pas terminée. Moi, quand j’écris des bouquins, je parle d’une période précise et j’ai voulu donner ce truc pour laisser cette trace. Je pense qu’avec tous les albums qu’on fait et qu’on continue à faire, la trace sera laissée. Et après, le fait même d’être encore en tournée, tout ça fait qu’on est toujours là à distiller la parole

L : C’est pour ça que j’insiste en demandant comment vous définissez la transmission. Parce que moi j’ai commencé le rap avec Radio Nova, j’écoutais Passi, Stomy, chez Dee Nasty quoi.

La transmission, je pense qu’elle se fait aussi par le fait d’être là. Tu es déjà dans la transmission. Du simple fait d’exister encore. Mais il y a des artistes qui ne sont plus dans ça

L : Mais ça, c’est pas grave ! Chacun a son parcours de vie. Ce n’est pas grave. Mais c’est pour ça que j’insistais avec ce truc de transmission. Si on peut s’arrêter sur cette définition de dire que la transmission, c’est juste de faire des disques, d’être là, c’est parfait pour moi. Moi, je pense que c’est comme ça, puisque tous les mecs que je peux te citer, qui étaient d’une génération avant moi, la seule transmission, c’était faire des disques, et des bons disques. Et c’est ce qui, moi, m’a poussé à faire des disques

Ça n’a pas eu d’impact sur toi, les prises de parole, les interviews ?

L : Mais non, parce qu’en fait…C’est pas la même chose, parce qu’on part du principe que tout le monde va être intéressant en interview. Mais c’est faux. Les mecs en interview, c’est des bites, ils sont pas bons. Mais c’est un artiste

Ou les interviewers aussi

L : Moi, ce que j’attends d’un artiste, c’est qu’il fasse des bons disques, c’est tout. Après, qu’il soit bon en interview…Tout le monde n’est pas bon en interview. Si on veut être honnête, tu regardes…La majorité des rappeurs, si on s’arrête au rap, ils ne sont pas préparés à ça. On n’est pas préparé. Les interviews, quand on a commencé la musique, on nous a jetés dans le bain. On n’a jamais eu de… Parce qu’il y a du coaching. Les artistes, ils sont coachés pour ça

Vous comprenez qu’en tant qu’artiste, en tant que porte-voix, en tant que mégaphone, on attend de vous…

L : Mais je suis pas… Pourquoi ? Pourquoi on se dit porte-voix ?

Le public. Parce que t’es derrière le micro. Tu vends des disques, tu fais des concerts

L : Et alors ? Pourquoi il serait un porte-voix ?

Parce qu’il y a un public qui s’identifie. Tu ne peux pas rejeter un truc qui se fait de fait.

L : C’est important de définir les choses parce que derrière porte-voix, quand tu le dis, j’entends role modèle, Je l’ai dit en anglais. Mais je ne suis pas obligé de l’être.

Non, tu n’es absolument pas obligé de l’être. Je te parle de l’attente que le public peut avoir de ça

L : Mais ce n’est pas grave. Ce qu’attend le public, je vais être vulgaire , c’est pas mon problème.

C’est pas vulgaire, ça

L : Non, mais t’as compris ce que j’ai voulu dire

Je m’attendais à un truc qui tabasse (rires)

L : J’aurais pu dire je n’en ai rien à foutre, mais c’est pas le problème

C : L’attente dont tu parles, on y répond avec les morceaux. Parce que nous, dans les morceaux, on dit tout. On dit ce qu’on pense, on raconte le quotidien de ce qu’on vit et ce qu’on voit. Donc c’est là où le public vient piocher

Il y a un truc qui vous différencie aussi par rapport à la nouvelle génération et qui, je ne vais pas dire punchline parce que je sais que tu n’aimes pas, qui est une phrase issue de vos textes, parce qu’il y a quelque chose d’autre qui a changé aussi, mais qui reste pourtant d’actualité, à savoir « qui prétend faire du rap sans prendre position ? » Est-ce que ça, ça vous trouble un petit peu, le fait que ça n’existe presque plus ?

L : Non, mais encore une foi…Et puis après, c’est une phrase. Je pense que des fois, les phrases ont le truc, mais il ne faut pas toujours prendre ça totalement au pied de la lettre. Ce qu’il faut comprendre, et ce qu’on met sur le dos parfois des rappeurs, c’est justement qu’on leur demande de prendre des positions, mais bien précises. Quand on dit prendre position, c’est d’avoir une opinion. C’est-à-dire, en vérité, si on veut schématiser, ce n’est pas de raconter de la merde, si tu veux

Il y a de ça, mais aussi de défendre des choses

L : Oui, mais il y a une chose qui est simple, qu’il faut comprendre aussi au-delà de ça. C’est-à-dire qu’il ne faut pas mettre trop de… C’est pour ça que je parlais de tout ça, du role modele et tout. Il faut faire attention avec ça, parce que tout le monde n’est pas capable d’endosser ce rôle-là. Donc on va demander à des mecs d’avoir des opinions bien précises sur des choses et ils ne peuvent pas les assumer. Il faut faire très attention parce que tout le monde n’est pas politisé ou n’a pas le bagage pour entrer dans ce genre de choses

Là, tu me parles du développement dans les interviews. Tu ne me parles pas forcément des textes

L : Non, je parle même dans les textes.

Et tu penses qu’il ne faut pas avoir cette attente ?

L : Non ! Il faut prendre l’artiste pour ce qu’il est

C : Après, ceux qui choisissent de le faire, c’est bien

L : Oui, mais il faut avoir le bagage pour le faire. Tout le monde ne peut pas le faire. C’est ça qu’il faut comprendre

Il y a aussi par rapport à l’adoucissement dont on parlait tout à l’heure, cette espèce de lissage qui est dû à la gentrification du public, le fait que parfois des positions peuvent ne pas être assumées via les textes, parce qu’on n’a pas forcément envie de le faire via ses textes, ou par souci marketing d’ailleurs, le fait de ne pas vouloir troubler, est-ce qu’ils se doivent potentiellement de l’être en dehors ? Et là on en revient aux interviews, et au fait que ce n’est pas parce que tu ne le fais pas dans tes textes que tu n’as pas le droit de prendre des positions, parce qu’on a l’impression que même dans les interviews, il y a du positionnement sur rien du tout.

L : Oui, mais moi, c’est la même chose. Tu ne vas pas demander à tout le monde de se positionner parce que ça va être du grand n’importe quoi

Non, ce n’est pas tout le monde. On a l’exemple très récent de Youssef Swatt’s, qui à un moment agit, et par l’action montre une forme d’engagement. Il pourrait avoir des textes doux, s’il prouve son engagement par ses actes, il y a quelque chose qui est présent

L : Ses textes sont engagés.

Lui, il se trouve qu’il est engagé

L : Bon, il a une écriture

Il a une écriture

L : Bon, il a une gamberge par rapport à ça

Oui, complètement

L : Il est structuré

Et il a aussi un historique, qui vient de vous, entre autres. Il a une culture.

L : Mais c’est lié à lui. Mais je peux te citer plein d’autres rappeurs, ce n’est pas leur souci. Et en soi, c’est pas grave. Je ne vais pas le montrer du tout en disant, mais pourquoi tu ne dis pas des choses politisées ?

Je te suis sur ça, mais je ne te suis pas sur un truc, et c’est dans la continuité de ce qu’on dit, il y a l’inquiétude concernant la montée du FN, qui vous inquiétait et qui nous inquiétait. Ce lissage fait que c’est quelque chose qui n’est plus présent

L : C’est le RN. Maintenant, c’est le RN, mais on va rester sur le FN, d’accord ? Ce lissage fait qu’il n’y a pas de prise de position autour de ça. Vous avez écrit Une saison blanche et sèche. Comment vous regardez que ça semble désormais naturel pour tout le monde ?

C : Je sais comment on regarde ça, comme un grand cirque. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, même quand on parle du RN, à la limite, même peut-être que le RN, ils sont même moins sulfureux que certains mecs du LR. C’est un grand cirque, en fait.

L : C’est de l’électoralisme. Ils veulent juste avoir une petite place. Ils veulent s’asseoir, c’est tout

Ça, on l’a bien compris. Mais t’es d’accord avec moi qu’il n’y a aucun mouvement qui se fait, que ce soit par le biais artistique ou autre, qui va à l’encontre de ça.

L : D’accord, alors je vais te dire un truc qui va…Il y a eu un morceau récemment, c’était contre quoi ça ? Déjà j’ai oublié. Il y a eu un morceau de multi-artistes qui est sorti, c’était pour quoi en fait ?

C’était par rapport à la montée du RN et par rapport aux élections, No Pasaran, une espèce de 11’30.

L : Alors ? De quoi je te parle depuis tout à l’heure ? C’est de ça que je te parle.

En fait, ce qui est respectable dans cette démarche, c’est que ça a été l’unique tentative.

L : Je te dis, pour que ça soit effectif, il faut que les mecs soient intéressés à ça, politisés, et que ça soit leur truc. Tu ne peux pas demander ça à tout le monde. Là, c’est factuel, ce qu’ils ont fait. Mais ils ont pris beaucoup de mecs qui n’étaient pas archi-politisés. C’était pas leur délire. Tu vois ? Et à la limite, c’est même pas les blâmer que de dire ça. Parce qu’en fait, c’est pas leur truc. Il faut bien comprendre ça. C’est que même à l’époque…(T-Killa entre soudainement dans la pièce) Putain, qui l’a laissé rentrer ? Il peut sortir, lui ? Faites-le sortir. Faites-le sortir. Lui et son collègue. Son vilain collègue. Mais il faut bien comprendre ça, c’est-à-dire que ce morceau-là te montre…

L’unique morceau

L : Oui, mais ça te prouve bien la problématique du truc. Ça te prouve bien que tout le monde ne peut pas faire ce genre de choses. Et pour aller plus loin, à l’époque, ce n’était pas comme ça non plus. À l’époque, il y avait des mecs qui étaient plus politisés que d’autres. Vraiment plus. Même si le côté plus engagé était plus mis en avant. Pourquoi ? Parce qu’on était inspirés des États-Unis. Et les groupes, dans les années 80, fin 80, qui arrivaient, c’était Public Enemy. C’était ça qui était autant. Public Enemy, KRS-One, tous ces mecs-là. Donc forcément, au states, ceux qui pétaient, c’était vraiment…

C : Les militants

L : Le rap militant. Qui inspirait, de fait, les Français et tout ça. Ça a commencé comme ça.

Tu parlais du fait que c’était moins politisé. J’ai l’impression qu’on me fait des signes. Il faut terminer

L : Ah bon, c’est fini ? Ok. Putain, les mecs ça commençait à devenir intéressant.

Pour conclure alors, je vais juste vous demander s’il y a des projets en cours concernant Ärsenik ?

L : Non, j’arrête tout (rires) Non, j’arrête. Ah, je n’avais pas fait l’annonce. Ce soir, je fais l’annonce

Et donc, on a le scoop, c’est pour SKUUURT

L : J’arrête (rires)

C : On est parti sur des solos déjà. Avant d’envoyer, là. Je sais que mon frangin Lino, il veut encore un album, donc il est sur son solo. Moi, j’envoie encore un solo. Donc, comme je me suis donné un petit rythme de 1 livre – 1 solo

C’est le rythme imposé

L : (rires) Marcel Proust ! Marcel ! Marcel Proust ! (rires)

C : Et voilà. Et après, comme on s’est toujours dit, on se doit de faire un album ÄRSENIK de avant de tirer notre révérence

C’est attendu

L : Donc voilà, des albums solos et un album ÄRSENIK

Peut-être ?

Sûrement. Ça va se faire. On attend ça avec impatience. On a hâte de voir ça. Merci beaucoup les gars. C’était super cool

L : Merci à toi, Scolti.

C : Merci !


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