Du bloc au blockbuster : quand le hip-hop s’invite au cinéma

Dans les années 90 et 2000, chaque film hip-hop était un événement rare, une fenêtre sur un mode de vie fantasmé. Du drame social à la comédie West Coast, retour sur un cinéma qui a marqué une génération.

Il fut un temps où chaque image, chaque son, chaque fragment de culture hip-hop était une pépite rare. Pas de YouTube, pas de streaming, pas d’algorithmes pour te balancer le dernier clip : il fallait chercher, creuser, guetter. Et quand un film lié au hip-hop arrivait jusqu’à nous, c’était un événement. Sauf qu’en France, ces films sortaient rarement en salle. Il fallait choper une VHS importée (avec la nécessité d’avoir un magnétoscope compatible NTSC), tomber sur un screen en 320 x 240, ou connaître quelqu’un qui connaissait quelqu’un…Autant dire que chaque visionnage avait un goût de trésor.

Ces films, souvent réalisés par des gens du mouvement ou des proches, étaient des passerelles directes vers un univers qui nous fascinait. Ils montraient les codes, la rue, les tensions, les rires, les amitiés, mais aussi le style, les voitures, les sneakers. Et il y avait toujours cette B.O., parfois  plus culte que le film lui-même, qui tournait en boucle dans nos walkmans et nos mini-chaînes.

Parmi les classiques, Friday (1995) reste une référence. Ice Cube et Chris Tucker y transforment un bout de trottoir en théâtre de situations folles, avec une B.O. gorgée de soleil West Coast.

Quatre ans plus tôt, Boyz N The Hood (1991) de John Singleton nous plongeait dans la dure réalité de South Central, avec un Ice Cube plus dramatique et une bande originale marquée par le G-Funk.

Menace II Society (1993) allait encore plus loin dans la violence et la crudité, capturant l’essence de la rue californienne comme rarement auparavant (je l’ai regardé avec ma mère la veille de partir à Los Angeles tout seul pour un mois).

Côté East Coast, Juice (1992) est resté dans toutes les mémoires. Avec un Tupac Shakur incandescent dans le rôle de Bishop, ce drame mêlait DJing, amitié et basculement vers la violence.

Tupac était aussi au casting de Above The Rim (1994), film culte surtout pour sa B.O. signée Death Row Records.

La fin des années 90 et le début des années 2000 ont vu le cinéma hip-hop se diversifier. Belly (1998), réalisé par Hype Williams, mélangeait esthétique léchée et casting de rêve (DMX, Nas, Method Man). Baby Boy (2001), encore signé John Singleton, montrait un autre visage de la jeunesse afro-américaine, avec Tyrese et Snoop Dogg (et qui se souvient de la daronne.?).

Dans un registre plus léger, The Wash (2001) réunissait Snoop et Dr. Dre dans une comédie purement West Coast.

Et puis il y avait le cinéma “par et pour la rue” : I’m Bout It (1997) de Master P, totalement amateur (jusqu’au “sang au ketchup”), autoproduit et tourné à l’arrache, a lancé l’ère du direct-to-video rap.

Hot Boyz (2000), encore signé Master P, poursuit la veine ghetto-entertainment.

Côté Nouvelle-Orléans, Baller Blockin’ (2000) de Cash Money Records (Juvenile, B.G., Lil Wayne) capture l’ADN Magnolia au plus près.

À l’Est, State Property (2002) met en avant Beanie Sigel et le camp Roc-A-Fella,

tandis que Paid in Full (2002), porté par Roc-A-Fella Films (Wood Harris, Mekhi Phifer, Cam’ron), replonge dans l’ère Harlem 80s entre street business et loyautés brisées.

Ce que tous ces films avaient en commun, c’est qu’ils étaient plus que du cinéma. C’était des fenêtres ouvertes sur un mode de vie, une manière de parler, de marcher, de s’habiller. Pour nous, gamins qui ne juraient que par le rap américain, c’était une manière de vivre par procuration l’Amérique qu’on fantasmait : New York comme Mecque, la West Coast comme soleil éternel.

Et les B.O. ? Parfois, elles volaient carrément la vedette au film. La compil d’Above The Rim est un classique du catalogue Death Row. Celle de Menace II Society ou de Juice a marqué une génération. Ces disques étaient aussi des moyens de découvrir de nouveaux artistes, avant même qu’ils ne percent.

Aujourd’hui, le rap est partout au cinéma et sur les plateformes. On peut voir un documentaire ou une fiction hip-hop en quelques clics. Mais il manque cette rareté, cette excitation d’attendre des mois pour poser les mains sur une VHS usée à force de tourner entre potes. Ces films ont façonné notre imaginaire autant que les albums qui sortaient à la même époque.

PS1 : Avant les années 90, on a raté une partie des fondations en France : Wild Style (1983), Beat Street (1984) et Krush Groove (1985) ont posé l’imagerie hip-hop (DJing, graffiti, break, MCing), mais n’ont que très peu circulé chez nous à l’époque.

House Party (1990) a essaimé surtout via VHS.

Le seul à vraiment toucher le grand public français, c’est Do the Right Thing (1989) de Spike Lee, fenêtre majeure — bien que plus large que le seul hip-hop — sur une Amérique qui nous fascinait déjà.

PS2 : Si ces films nous ont tant marqués, il faut aussi avouer que leur doublage français relevait parfois du sabotage artistique.

Voix caricaturales à outrance, argot inventé qui ne ressemblait à rien, clichés sur clichés…et un jeu d’acteur des doubleurs souvent proche du néant.

Résultat : des œuvres cultes qui, traduites, frôlaient parfois le nanar malgré leur puissance originale.

Ceux qui les ont découverts en VF comprendront la douleur…

Films hip-hop cultes des années 90–2000

Friday (1995) – avec Ice Cube et Chris Tucker.
Sorti en VHS et DVD en France, devenu culte malgré une distribution limitée en salles.

Boyz N The Hood (1991) – avec Ice Cube (premier grand rôle) et Cuba Gooding Jr.
Sorti au cinéma en France, énorme succès critique.

Juice (1992) – avec Tupac Shakur et Omar Epps. Sorti en France (cinéma + VHS). Tupac y livre un rôle marquant
Poetic Justice (1993) – avec Tupac Shakur et Janet Jackson.
Sorti en France au cinéma (succès mitigé mais culte pour les fans).
Menace II Society (1993) – produit par les Hughes Brothers.
Avec Larenz Tate, Jada Pinkett, et camée de Mc Eiht. Sorti en France (cinéma + VHS).
Baby Boy (2001) – avec Snoop Dogg et Tyrese Gibson.
Pas distribué en salles en France, mais sorti en DVD (forte fanbase hip-hop)
Belly (1998) – réalisé par Hype Williams. Avec Nas, DMX et Method Man.
Pas sorti au cinéma en France, uniquement en VHS/DVD import, devenu culte underground.
The Wash (2001) – avec Dr. Dre et Snoop Dogg.
Pas de sortie cinéma en France, dispo en DVD import.
State Property (2002) – produit par Roc-A-Fella, avec Beanie Sigel, Jay-Z et Cam’ron.
Jamais sorti officiellement en France, seulement en import DVD.
8 Mile (2002) – avec Eminem.
Sorti en salles en France, gros succès populaire (plus de 1,5M d’entrées)
Get Rich or Die Tryin’ (2005) – avec 50 Cent.
Sorti en salles en France (moins marquant que 8 Mile, mais attendu)

Dirty Swift


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