Salut Angelo, quel honneur de te recevoir ! Pour celles et ceux qui ne situent pas, t’es le boss de Live Nation France, Live Nation étant le plus gros producteur de concerts au monde. Plutôt pas mal, nan ? T’as imaginé un jour te retrouver non plus au centre du game, mais au sommet ?
Non, j’ai pas cette espèce d’ambition, l’ambition que j’ai est de faire réussir les artistes, donc c’est d’abord eux, avant moi, et cette ambition au sein de Live Nation a toujours été importante. Quand j’ai commencé, il y a maintenant 16 ans, on était 2, maintenant on est 140, et j’ai assumé cette ambition pour la société, pas pour moi. J’avais une vision pour Live Nation, j’avais une vision pour une entreprise de cette dimension en France, et j’avais surtout la vision de l’ampleur que la musique allait prendre dans le monde entier. Donc cette ambition je l’ai eue, mais elle est beaucoup plus pour l’entreprise et les artistes que pour moi-même
Mais il y a quand même le côté « parcours personnel » dans cette histoire. Tu viens de la banlieue, tu te retrouves à la tête de l’un des plus gros groupes, dans la musique, au monde, et c’est aussi ça que je voulais dire dans le fait de te retrouver au sommet

Oui mais je pense qu’après, encore une fois, il y a une fierté pour moi, il y a une fierté pour mes proches, il y a une fierté pour ceux qui m’ont accompagné depuis des années. Après, moi, j’essaie de garder la tête froide parce que demain on ne sait pas ce qui peut se passer, demain tu peux retomber en bas. Il y a une fierté du parcours accompli mais c’est le parcours en général, pas seulement Live Nation, c’est le parcours depuis que je suis jeune, c’est le parcours depuis que j’ai des enfants, c’est vraiment ce parcours-là qui est important pour moi, et qui est gratifiant. C’est se dire qu’aujourd’hui tu peux arriver d’un quartier, et réussir. Et je pense que ce mot « réussir » est important, parce que dans les quartiers on nous apprend qu’un mot : on veut qu’on s’en « sorte ». Le mot « réussite » n’existe pas dans les quartiers. Et moi au travers de mon parcours, j’explique aux gens que la réussite existe et qu’elle est à la portée de tout le monde. Il n’y a pas de « banlieusards », il n’y a pas de gens « qui vivent dans les milieux ruraux », on peut tous y arriver, il faut en vouloir, il faut toujours avancer, il faut toujours être respectueux des gens, respectueux des choses et je pense que ce parcours-là, pour moi, est exemplaire pour toutes ces personnes de l’ombre, toutes ces personnes qui ne réussissent pas. Et là oui, pour moi et pour eux, c’est une réussite
J’allais parler d’exemplarité justement parce qu’on peut y voir une forme d’espoir. Je crois qu’il y a peu de monde, dans le grand public, qui sait qui tu es, d’où tu viens, y compris de par ton nom. On pourrait s’imaginer quelqu’un d’autre, à partir d’a priori, que ce soit concernant l’âge, ou la provenance sociale

L’a priori existe. Sur la réussite des gens on va dire que c’est des Américains qui ont investi, ou alors que le gars qui a la tête de Live Nation est un Italien qui a 65 ans et qui a les cheveux gris. On ne va jamais dire que la réussite de Live Nation vient d’un black qui vient des quartiers et qui est mauricien. Et ça, c’est regrettable. C’est regrettable au niveau de Live Nation, comme c’est regrettable au niveau d’autres entreprises. Aujourd’hui, on se doit de juger les gens par leur réussite. On se doit de les identifier et on se doit de les mettre en avant. Moi, je ne me mettrais pas en avant naturellement. Mais si on me demande, par exemple je vais une fois par an dans les collèges, dans les lycées, dans les facs, je vais faire des masterclass et des talks, et j’y vais volontiers parce que je veux aujourd’hui qu’il y ait des dizaines et des dizaines d’Angelo dans 5 ans, dans 10 ans, dans 15 ans. C’est pour ça qu’on a monté une école avec un cursus scolaire au travers de l’EFAP et de l’ICART, et on donne des bourses à des gens issus des quartiers défavorisés qui, demain, peuvent avoir un Bac +5 parce qu’on sait qu’aujourd’hui, les gens n’ont pas les moyens de se payer des études alors qu’il y a des talents dans les régions, il y a des talents dans les quartiers, il y a des talents dans les milieux défavorisés. Et on ne doit pas aujourd’hui laisser au ban de la société, des gens qui ont ce talent
Et c’est aussi pour ça que c’est important pour moi et donc pour SKUUURT de pouvoir te donner la parole, et que ces paroles puissent être diffusées. En quoi la ligne de départ, et la piste, n’est pas la même pour tout le monde ?
Elle n’est pas la même pour tout le monde parce que je pense que ça vient même de l’éducation qu’on a dans les quartiers, de la façon dont on est éduqué. Aujourd’hui, il y a des mots qu’on ne donne pas, dont on ne parle pas dans les quartiers. On ne parle pas d’entrepreneur, on ne parle pas d’entreprise, on ne parle pas de réussite. Tout ça, ce sont des mots qu’on utilise pas, comme si ces mots et ces adjectifs n’étaient bons que pour les autres. Et je pense que c’est cette chose-là qui est regrettable parce qu’aujourd’hui, on doit avoir le même cursus que tout le monde, on est dans un environnement d’école où on dit égalité, fraternité et liberté. Et pour moi, on doit avoir la même éducation. Donc ces mots-là devraient être les mêmes pour tout le monde et malheureusement, ils ne les utilisent pas. Je pense que si on utilisait un peu plus ces mots-là, si on encourageait les gens dans les quartiers et pas seulement au travers d’aides sociales, on aurait beaucoup plus de réussite et on aurait beaucoup plus de calme dans les quartiers parce qu’on aurait beaucoup plus d’égalité. Aujourd’hui, les gens ne voient pas cette réussite, elle leur échappe, elle est loin, et pour eux elle est complètement abstraite. Et toute la frustration aujourd’hui qui existe chez les jeunes vient aussi de cette partie-là, parce que pour eux la réussite n’est forcément que sportive. Ou on est footballeur, ou on est basketeur, ou on est boxeur et là, on a envie de réussir. Le reste, ça n’existe pas
Ou la musique. Toujours les mêmes voies
Quand tu prends le nombre de personnes qui réussissent dans ces domaines, c’est restreint. Alors que dans le milieu de l’entrepreneuriat, tu as des centaines et des milliers de personnes qui réussissent. Et aujourd’hui, on n’a pas besoin d’aller aux États-Unis ou ailleurs pour réussir parce qu’on n’a pas ce choix, on n’a pas cette voie, et on n’a pas cette volonté mise en place par les politiques aujourd’hui pour faire réussir les gens dans les quartiers
Est-ce que tu t’infliges une responsabilité pour faire changer les choses sur ce point, à ton échelle ?
Bien sûr, c’est important. On se sent responsable de la réussite des autres. Dans les quartiers, on a une expression qui est assez simple et qui caractérise complètement ce que je dis. « Tu ouvres la porte, on met un pied et tout le monde passe. » C’est pareil, la porte est ouverte, j’ai mis un pied et je veux que tout le monde passe. Je veux que tout le monde passe, je veux que la porte reste ouverte parce que la porte est ouverte pour tout le monde. Il n’y a pas de porte fermée, on n’est pas passé par la fenêtre, on passe par la porte d’entrée, on rentre, la tête haute et fière
Alors que tu aurais pu rentrer par la fenêtre tout seul et la refermer derrière toi
Tout à fait. Mais c’est pas dans les valeurs qu’on nous a inculquées. Nos parents nous ont éduqués. C’est pour ça que cette responsabilité est importante. Elle peut parfois paraître pesante parce que c’est quand même une pression. Mais au contraire, c’est l’émulsion qui est importante. Et c’est bien de se dire qu’on a des gens derrière nous qui nous suivent, qui veulent nous ressembler et réussir.
En quoi consiste ton job de boss, et ça se traduit comment au quotidien ?

Être le boss de Live Nation, c’est ni plus ni moins que d’être le boss d’une société comme une autre. C’est aussi d’écouter de la musique, c’est d’être à l’écoute des artistes, d’être proche d’eux. Aujourd’hui, notre rôle de producteur de spectacle, c’est d’accompagner les artistes, c’est de leur donner des moyens de réussir, c’est de leur apporter nos compétences, de leur apporter notre savoir-faire, nos moyens, pour qu’ils réussissent. Quand je me lève le matin, j’écoute de la musique, j’essaie de découvrir des nouveaux artistes. Et l’idée, c’est d’arriver à avoir toujours de nouveaux artistes, toujours de nouvelles tendances. La musique s’est complètement démocratisée depuis 10 ans, 15 ans avec le digital. Aujourd’hui, on a des tendances qui viennent du monde entier. On a de l’Afro, on a du reggaeton, on a de la K-pop, on a de la C-pop. Notre rôle, c’est d’aller à la pointe de ça pour continuer à faire avancer les choses, continuer à développer des artistes. Les choses les plus importantes à faire en tant que patron de Live Nation, c’est : un, s’occuper des artistes parce que c’est important, et deux, de s’occuper des équipes parce qu’on ne réussit jamais seul. La réussite de Live Nation, c’est la réussite d’un patron, mais aussi la réussite des équipes. S’occuper des équipes, prendre soin d’eux, les motiver, les former, les faire avancer, c’est aussi gratifiant qu’avoir une réussite personnelle
C’est quoi être un bon boss ?
Être un bon boss, c’est savoir écouter, c’est savoir anticiper des choses. Oui, c’est être à l’écoute. S’occuper des équipes, c’est important parce qu’on passe beaucoup de temps ensemble et notre objectif est vraiment de les accompagner, de les faire grandir, de les faire avancer et de leur transmettre la flamme. Chez nous, le matin, quand on se lève, on va faire un travail qui est extraordinaire. On a la chance aujourd’hui d’être dans un milieu, celui de la musique, qui est toujours en train d’avancer, qui est toujours aussi importante, qui prend de plus en plus de place dans l’espace, dans le monde dans lequel nous vivons, et faire partie de cette entreprise, de ce monde-là, je pense que c’est hyper motivant, hyper intéressant et c’est à nous de faire en sorte de garder et les artistes, et nos partenaires, et nos collaborateurs, motivés
Est-ce que tu t’imposes d’avoir une expertise panoramique, ou tu te reposes sur d’autres personnes qui, eux, ont cette expertise ?

Déjà, la réussite ne se fait jamais seule, il faut toujours se reposer sur des gens qui ont une expertise, mais malgré ça, j’ai une vision qui est vraiment transversale, parce qu’on a besoin d’avoir cette capacité de connaître les choses, de les comprendre pour pouvoir après les appliquer avec les collaborateurs. Pour ma part, je m’adresse à des gens qui ont des compétences dans les domaines dans lesquels on est, mais j’aime bien savoir, j’aime bien comprendre, parce que ça facilite le rapport avec les gens. Quand on parle avec un artiste et qu’on parle de marketing, qu’on parle de digital, qu’on parle d’influenceurs, qu’on parle de billetterie, j’aime savoir ce qu’on fait, ce qu’il se passe, parce qu’on fait tous partie d’un projet et je pense que c’est plus facile de le vendre à des gens quand on comprend ce qu’on fait. Et moi, même s’il y a des gens qui travaillent dans leur domaine, je fais en sorte d’être assez transversal. C’est beaucoup plus par rapport à une curiosité naturelle, cette capacité à apprendre, cette capacité à développer les choses, d’être toujours à la pointe des choses. C’est important parce que c’est gratifiant. C’est gratifiant de se dire qu’on n’est pas à côté de la page, qu’on a encore des choses. Le jour où j’arrêterai d’écouter de la musique, le jour où j’arrêterai de lire les journaux, le jour où j’arrêterai de suivre les tendances, je pense que je changerai de métier. Aujourd’hui, on est à la pointe parce qu’on fait en sorte de rester à la pointe. Ce que je dis aux équipes aujourd’hui, c’est que dans le travail qu’on fait, par rapport au volume qu’on a et par rapport à la somme de travail qu’on a, nous sommes des sportifs. Nous sommes des sportifs de haut niveau. Comment on fait aujourd’hui pour accompagner nos équipes, pour leur faire des formations ? On a fait venir des coachs sportifs, on a fait venir des sportifs qui ont expliqué comment ils se préparaient pour les grands événements. C’est vrai qu’on a des fortes périodes. La préparation est comme celle d’un sportif, avec des moments qui sont intenses. Notre rôle à nous, c’est d’expliquer aux gens qu’effectivement, on est dans cet environnement-là. Il y a des moments qui peuvent être très forts, des moments qui peuvent être très faibles. Il faut arriver à les manager. Notre travail à nous, c’est de faire de sorte qu’ils comprennent ces moments-là, qu’ils les apprennent au mieux et qu’ils accomplissent au mieux le travail qu’on fait pour nos artistes au quotidien
Est-ce que t’as déjà été confronté à une forme d’ivresse de pouvoir, non pas avec tes collaborateurs, mais par l’influence que tu peux avoir sur le monde de la musique en général ? Comment on garde la tête sur les épaules ?
Non. Moi, tu sais, je suis un mauricien. Mon père m’a toujours appris à avoir le respect. Pas de frénésie, pas de grosse tête. Moi, je suis au poste où je suis aujourd’hui. Je fais profiter le maximum de gens
On n’est jamais arrivé, c’est ça, l’idée ?
De toute façon, on n’est jamais arrivé parce que seul Dieu sait où on peut s’arrêter. Et puis surtout, tu sais, ce qu’on dit, c’est qu’il faut savoir respecter tous les gens avec qui tu travailles ou ne travailles pas. Moi, peu importe ce que j’ai ou que j’aurai, ce respect-là a été fondamental dans mon parcours et dans ma vie. C’est ça qui m’a fait réussir. Moi, j’expliquais à mes enfants qu’aujourd’hui, beaucoup plus qu’un héritage, c’est la forme de respect que je leur ai apporté qui compte. C’est important d’arriver à respecter les gens. C’est déjà un grand pas dans sa vie personnelle, sa vie professionnelle
OK. Alors, ce que les gens savent peu, c’est que t‘es issu des débuts du Hip-Hop, t’as vécu l’apparition et le développement du mouvement et de la culture qui l’accompagne, porteuse de valeurs, avec une mentalité, une façon d’être. À ce sujet, j’ai 2 questions. Est-ce que tu déplores la quasi disparition du Hip-Hop en tant que culture globale ? Et est-ce que ma question est valable aux USA ?
Aux USA, elle disparait beaucoup moins parce qu’elle a été reconnue, beaucoup plus tôt qu’en France. Et aujourd’hui, elle existe. Elle existe par elle-même. Et on parle de hip-hop, alors qu’en France, le streetwear, c’est du hip-hop, les capuches, c’est du hip-hop, les baskets, c’est du hip-hop, les DJ, c’est du hip-hop. Mais on ne parle pas de hip-hop. On parle de musique, ou on parle de street art, ou on parle d’autres choses.Et on ne parle pas de hip-hop. Alors que aux USA, on parle de hip-hop. Il y a des musées du hip-hop, il y a des cérémonies hip-hop. Et en France, on n’a pas ça. Et je pense qu’il faudrait qu’on arrive à mettre en place cette reconnaissance du hip-hop. Parce que sans le hip-hop, il n’y a pas tout ce qui découle derrière. Et je pense qu’on doit marquer notre respect pour ceux qui ont été là au départ, ceux qui ont participé à la réussite du hip-hop. Ceux qui ont réussi au début à être là, alors que personne n’y croyait. On nous a dit pendant des années que le rap ne marcherait pas, que le break ne marcherait pas, que les graffitis resteraient dans la rue et que les DJ resteraient dans les caves. Aujourd’hui, les DJ sont au sommet. Le hip-hop est partout. Le streetwear, c’est du hip-hop. Je pense que cette réussite-là, elle doit être reconnue telle qu’elle est, importante.
On peut aussi estimer que cette quasi disparition est au contraire une bonne nouvelle, parce que ça laisse une chance aux survivants ou néophytes du Hip-Hop de retourner aux origines et de s’affirmer à nouveau comme un contre-courant, ce qui a été perdu dans le hip-Hop ?
Non, je pense qu’il faut une réflexion qui soit beaucoup plus horizontale. Il faut avoir une réflexion avec les acteurs et voir aujourd’hui comment on peut reconnaître la culture comme elle est là. Et comme, de toute manière, on a des cycles, le rap va redescendre un peu, le rap va revenir,. et oui, à ce moment-là, on va revenir en opposition. Mais je pense que, surtout, la prise de conscience est importante. Elle doit se faire aujourd’hui, quand on a encore les moyens de se faire entendre et de se faire voir. Ce qui ne sera peut-être pas le cas dans un ou deux ans.
Comment distinguer le business et la culture, et sont-ils compatibles ? Parce que, quelque part, le business oblige à des concessions, qui impactent la culture, je pense à la mise en avant du mainstream, qui a fait du rap la nouvelle pop, en reprenant ses codes mais en le dénaturant
Je pense qu’on peut arriver à faire du business sans dénaturer le hip-hop. Il faut juste avoir une reconnaissance du hip-hop tel qu’il est, et avec une reconnaissance sincère. Cette reconnaissance, on ne l’a pas eue. Tu vois tous les artistes qui, à l’époque, ont marché, les Alliance Ethnik, les Little MC, ou tant d’autres, il faut les reconnaître maintenant. Tous ceux qui étaient là depuis le départ. Quand c’était pas un business, quand c’était une passion, et qui n’ont pas vécu de ça. Ce sont des gens qui ont porté le mouvement, qui ont porté la culture, et qui ont fait qu’aujourd’hui c’est un business. Il faut profiter du moyen qu’on a pour pouvoir le faire. Comment ? Je ne sais pas. Mon idée serait de mettre en place, pour la première fois, des assises du hip-hop, qu’ils s’assoient ensemble, et voir comment on peut y arriver. Après, c’est un chantier qui est assez énorme
Et ça se fait à différentes échelles. T ‘as vécu les débuts du Hip-Hop, passion, système D, investissement au quotidien…que penses-tu d’une démarche comme celle de SKUUURT, d’où tu es maintenant ?
Je pense qu’elle est importante. Elle est importante parce qu’elle reconnaît une culture que les gens ne connaissent pas forcément. Toute initiative est bonne parce qu’il y a tellement rien qu’il est important qu’il y en ait, il est important qu’il y ait des initiatives avec des gens qui fassent des choses et qui bougent les lignes, parce que si on laisse ça aujourd’hui dans l’obscurité totale et qu’on ne s’en occupe pas du tout, qu’on n’en parle pas, qu’on ne le met pas en avant, ou qu’on ne le reconnait pas, on n’avancera jamais. Et du coup on va avoir une culture qui va mourir tout doucement Et qui ne va rester qu’un business. Et ça ne va être que du rap et que du streetwear, ou que des Djs, alors que tout ça, ce sont des choses qui sont nées d’une culture, la culture hip-hop.
Toi, tu parles de culture, parce que tu sais ce que c’est. Moi, je parle de culture. Les gens, eux, parlent de rap. Aujourd’hui, il y a des rappeurs qui ne parlent jamais de hip-hop. Moi, je trouve que ce n’est pas respectueux de parler de rap sans parler de hip-hop. Parce que s’il n’y a pas de hip-hop, il n’y a pas de rap. Parce qu’au début, il y a d’abord le hip-hop, après il y a les Djs, les graffeurs, et après, il y a les rappeurs. Ce n’est pas d’abord les rappeurs. Et les rappeurs étaient un peu les porte-parole des quartiers, ils parlaient de la vie des quartiers, de ce qui s’y passait. Les premières soirées dans le Bronx, ça partait de ça. Et donc, si aujourd’hui il y a des initiatives comme SKUUURT qui se mettent en place, il faut les saluer, il faut les encourager, parce qu’on en a besoin. La France est le 2ème pays en termes de hip-hop, au monde. C’est vrai qu’elle l’est en termes de chiffres, en termes peut-être de personnes et de rappeurs, mais elle ne l’est pas du tout en termes de culture. Elle devrait être reconnue telle qu’elle est.
Aux antipodes, il y a Live Nation, qui est parfois décrié, pour son quasi monopole sur l’industrie du spectacle vivant, qui traduit en réalité son positionnement de leader. Est-ce que c’est un revers de réussite ?

C’est pas un revers de réussite C’est un prisme français. Tu sais en France, tu n’as pas le droit de réussir. Moi je suis arrivé il y a 16 ans. J’ai une image où Live Nation n’était pas numéro 1 en France. Aujourd’hui elle l’est, parce que depuis 16 ans on en réussit, parce que depuis 16 ans on travaille, parce que depuis 16 ans on emploie des gens, parce que depuis 16 ans on a mis en place des choses, et on a réussi. On a réussi à franchir le pas d’un phénomène musical qui est devenu colossal. Parce qu’il y a des nouveaux courrants musicaux qui ont explosé depuis des années, et on a été les premiers dessus. On a été les premiers sur la K-pop, on a été les premiers sur la reggaeton, on a mis Bad Bunny à Lollapalloza en 2019, à l’époque personne n’en voulait. On mettait la K-pop en festival, personne n’en voulait. Donc on a été les premiers. C’est notre métier de découvrir et d’avancer. Donc on est leader. Le prisme de dire qu’on est dans un monopole est typiquement français. Tu ne vas pas dire que quelqu’un est fort parce qu’il est fort, non, forcément tu utiliseras des mots comme « monopole », ou « concentration », parce que t’as envie de dire que c’est pas bien. Parce que la réussite n’est pas bonne en France. C’est tout. La réussite faite par un black de banlieue n’est pas bien non plus.
C’est ce que je sous-entendais par le fait de souligner que la simple réalité est que Live Nation est en position de leader, tout simplement, mais forcément ça amène à des critiques
Mais ça amène à des critiques parce qu’elles sont faciles, parce que c’est trop facile. Aujourd’hui, regarde la Culture. Qu’a fait la Culture depuis 40 ans pour la diversité ? Quand tu regardes le milieu de la culture, quand tu regardes les patrons de festivals, les patrons de théâtre, les gens dans les ministères, les gens dans l’institutionnel, elle est quasiment inexistante. Ce rejet de la diversité est flagrant. Donc au lieu de parler de réussite, on parle de concentration, on parle de monopole. Alors que c’est juste la place de leader. On dit de Carrefour qu’il est leader, on ne dit pas qu’il y a un monopole. Mais voilà c’est des mots qu’on utilise pour faire du mal, et pour dire que d’autres gens ne sont pas bien. Ce qu’on ne reconnait pas en France, c’est la réussite des gens, quelle qu’elle soit.
Ces polémiques mènent inévitablement à s’interroger sur les tarifs des places de concert et l’accessibilité aux gens les moins pourvus. Qu’est-ce que tu pourrais dire à ce sujet pour nous expliquer un petit peu comment ça fonctionne ?

Aujourd’hui on ne parle de ça que quand c’est dans la musique. Les prix de nos places ne dépassent pas 200€. Mais quand tu vas avoir un match de foot ? Quand tu vois les places sur PSG–Inter à Munich ? Dans le sport, le tennis c’est 10 fois plus cher, le football est 10 fois plus cher. On ne ramène ça à l’accessibilité que quand il s’agit de la musique. Mais il y a 10 fois plus de choses qui sont beaucoup plus chères que la musique. Pourquoi on dit que la musique est inaccessible ? Il y a une musique qui est accessible à des millions de personnes, on fait des concerts dans des petits clubs, c’est la moitié des shows, avec des places à 20, 25, 30€, donc oui la culture est accessible. Et puis, la France, depuis 40 ans, subventionne des salles et des endroits pour rendre la culture accessible, mais on dit ça parce qu’il y a des personnes qui n’arrivent pas à accéder à 4 concerts dans l’année qui sont un peu plus cher parce que ce sont des américains qui ont des moyens colossaux. C’est du business. C’est du divertissement, c’est pas de la culture. Ce qu’il faut que les gens comprennent c’est qu’on n’est pas dans la culture, on est dans le divertissement. On est entrepreneur. On n’a pas à nous comparer à la culture
Mais est-ce que l’augmentation des places n’est pas due aussi aux tarifs des artistes ?
Depuis le Covid, tout a augmenté, tout a été multiplié par 2, 3, 4. Regarde l’essence. Regarde le coût de la vie. Donc à un moment donné, quand le coût de la vie augmente t’es obligé d’augmenter les prix des billets. Comment tu vas faire quand les bus sont passés de 1500€ à 2500€, les camions de 1000€ à 4000€ ? comment on fait pour payer ? Les gens sont obligés d’augmenter les prix des places
Mais c’est justement c’est ce que je te demande d’expliquer pour qu’on puisse bien comprendre, parce que toi t’es au coeur de tout ça
Tu vois, quand t’as des agents de sécurité, au stade de France t’as quasiment 1000 agents de sécurité, tous les ans les agents de sécurité ont des taxes qui augmentent, parce qu’on les taxe, et donc ils sont obligés d’augmenter. Donc tous les ans on leur met des taxes supplémentaires, forcément ils impactent ça sur la facture qu’ils nous font payer. Donc t’as le prix Donc t’as le prix des agents de sécurité qui augmente. Donc quand tu additionnes les agents de sécurité, les camions, bus, matières premières etc, t’as un prix des places qui augmente
C’est inévitable
Il faut pas s’arrêter et dire « Oui les agents de sécurité prennent beaucoup d’argent donc les places sont chères ». C’est encore une fois un prisme français qui est toujours « c’est la faute de quelqu’un », y a pas de conjoncturel, c’est la faute de quelqu’un. C’est ce qu’ils vont dire
Oui, c’est chercher qui est le responsable de tout ça…
Comment tu définirais les valeurs de Live Nation ?

Visionnaire, entrepreneurial, avant-gardiste et travailleur. Parce qu’on a des gens dans les équipes qui travaillent énormément pour faire ce qu’on fait et pour la réussite des artistes. Et aujourd’hui, tu vois, quand les gens parlent d’une structure, ils ne parlent pas des gens qui travaillent du matin au soir et qui travaillent dur. Et cette reconnaissance-là, c’est eux aussi. Et donc, quand tu les critiques, tu les critiques eux aussi. Et donc, ça veut dire que tu ne reconnais pas leur travail, que tu ne reconnais pas leur talent
Ce sont les valeurs que tu cherches à insuffler au sein de tes équipes ?
Tout à fait, oui
Tu vas sortir une autobiographie, qui va s’appeler « BAC -1 ». Le titre revient un peu sur un sujet dont on a déjà parlé, à savoir l’espoir que ça peut donner à certains, de se dire que la réussite ne passe pas forcément par les études, de façon systématique, que ça peut être une voie pour certains, mais pas pour tous
On a besoin des études, mais certaines personnes ne s’y retrouvent pas. On ne peut pas condamner les gens parce qu’ils ne s’y retrouvent pas. On a tous en soi, aujourd’hui, un savoir-faire. On a tous certaines compétences. On a tous une certaine intelligence. Toutes et tous on l’a. Il faut juste savoir l’éduquer, il faut savoir la travailler, il faut la mettre en avant. Et aujourd’hui, ce que ne fait pas l’éducation, c’est d’accompagner ce genre de choses. Et plutôt que de dire qu’on va accompagner aujourd’hui les différences de certains, les différences sur des réussites, on les stigmatise. Et moi ce que je dis c’est qu’on peut tous réussir dans un domaine différent. Et il faut juste donner sa chance à tout le monde
Et que le système scolaire n’est pas forcément adapté à tout le monde non plus
Non, parce qu’il est trop lourd. À un moment donné, quand tu arrives à partir du collège ou du lycée, faire de 8h à 18h tous les jours, c’est pas possible. Tu n’oxygènes pas le cerveau, tu n’oxygènes pas le corps, tu as besoin de t’émanciper. Il faudrait un système scolaire où tu puisses avoir le temps de le faire
C’était compliqué pour toi d’être en cours ?
C’était pas compliqué. Quand je suis allé au collège, j’étais dans le top 3 de la classe. Sauf que j’ai rencontré le hip-hop, j’ai rencontré le tennis…Et puis, quand tu as 15-16 ans, tu es à fond dedans, donc c’est compliqué de te concentrer sur les cours. Quand j’ai eu la chance de faire un sport d’études, parce que j’avais des compétences, j’étais bon en tennis, donc j’ai réussi à m’en sortir, mais j’ai eu cette chance-là d’avoir le tennis. Et après, j’ai le sport d’études, j’ai payé mes études, j’ai travaillé pour payer mes études. Et c’est pour ça qu’il faut se dire qu’on a tous une chance et qu’il faut travailler, il faut se relever, il faut marquer ses différences, il faut avoir une vision, une ambition. Et il ne faut pas s’arrêter. Ce n’est pas parce qu’on nous dit qu’on n’est pas bon qu’on l’est forcément
T’as toujours ton projet de fondation ?
J’espère la monter cette année et pouvoir justement mettre en place la fondation pour aider un maximum de projets
Tu peux expliquer en deux mots en quoi ça consistera ?
C’est justement une fondation pour les gens dans les quartiers qui ont des idées, qui veulent investir dans une entreprise, des associations qui ont besoin d’aide, enfin c’est tout ce qu’on peut mettre en place par une fondation. C’est vraiment un système de bourse, d’idées, de projets, d’associatif, d’entrepreneuriat, d’études. Là, partout, on va pouvoir aider les jeunes qui en ont besoin
Ça veut dire quoi réussir, Angelo ?
Réussir, ça veut dire avoir un confort sur soi, et ça veut dire être en paix avec soi-même. Si on est en paix avec soi-même, qu’on se lève le matin, qu’on se regarde dans le miroir et qu’on est fier de soi, c’est réussir. La réussite, ce n’est pas forcément d’être très haut. On est tous très haut. Te lever le matin, te réveiller à la glace et te dire que ta famille va bien, c’est une réussite
Tu sais comment ça a commencé et d’où tu viens, est-ce que tu as une idée de où tu iras et de comment ça finira ?
Ça finira comme Dieu voudra
Très bien. Merci beaucoup pour le temps que tu m’as accordé, Angelo. Et donc on attend l’autobiographie « BAC-1 », qui va sortir bientôt
Merci Scolti, à bientôt !
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