IKRAM AYATA, l’interview

Lil Julia : Salut Ikram, encore merci d’avoir accepté de nous répondre !

Ikram : Avec plaisir, je ne le fais jamais.

L.J : Tu es attachée de presse. T’as travaillé pour Happy-Dayz , maintenant t’es à ton compte et au quotidien tu gères la communication de concerts, de festivals, de spectacles ou même de films :   une multitude d’événements. Tu collabores avec Michou, l’appli StudyTracks, ou encore Medine : un sacré parcours.  En quoi consiste ton métier au quotidien, j’imagine que par la multitude d’événements, il n’y a pas de journée type ?  

Fabrice Eboué, par FRANÇOIS DENAT @fdnt

I : Non, il n’y a pas de journée type, d’autant que comme tu l’as spécifié, mon panel est assez large.  Les projets sur lesquels je travaille, ça peut être dans le milieu du rap avec Medine, comme ça peut être dans le milieu de l’humour avec Fabrice Eboué.  À l’époque où j’étais chez Happy-Dayz, je travaillais avec Kheiron, Eric Antoine, Jean-Luc Lemoine, Les Coquettes, Chantal Ladesou.  J’ai travaillé sur la promo de films, avec ma patronne, mais qui est devenue in fine ma collaboratrice, au fil des années. Que ce soit au travers des collaborations ou d’un point de vue médiatique c’est hyper varié. Ça va bientôt faire 10 ans que je bosse dans ce métier. Je constate que, les années avançant, le spectre s’élargit, dans le sens où avant, par exemple, on cantonnait les artistes urbains ou hip-hop à des médias qui étaient spécifiques au domaine.  Aujourd’hui, c’est beaucoup plus large. On s’amuse un petit peu plus tous ensemble.  

L.J : Depuis que tu as commencé, quelles évolutions as-tu constaté ? Parce qu’aujourd’hui, on peut se demander ce qu’est être attachée de presse avec toute la com’ qui est accessible via les réseaux ? Qu’est-ce qui a pu changer depuis que tu as commencé ?

I : Tous les médias ont évolué et ont compris quelle était la force et l’impact du web. Le phénomène est assez récent même si il dure maintenant depuis plusieurs années. Au début, je constatais qu’on priorisait beaucoup les médias dits « mainstream ». On accordait beaucoup d’importance au papier, ce que je comprends, c’est toujours honorifique pour un artiste d’avoir une interview avec un visuel de lui sur le papier glacé. C’est hyper joli, au même titre que passer à la télévision. Mais à l’époque déjà je constatais, vraiment sans prétention, que le web allait prendre une grande place. Je crois que je ne me suis pas trop trompée. Évidemment je ne suis pas la seule à avoir fait ce constat-là : tous les médias aujourd’hui, que ce soit en télévision, en presse, en radio, s’amuse et joue le jeu des médias. Que ce soit au travers de réels ou de n’importe quel autre moyen, tout le monde est actif sur Internet parce que les vues sont beaucoup plus massives et aussi parce que le public touché est beaucoup plus large. Au même titre que le panel d’artistes invités qui est aussi beaucoup plus étendu.  

L.J : En parlant d’artistes, avec qui as-tu fait ta première collaboration ?  

I : Ça ne s’est pas fait subitement. J’ai commencé dans le milieu de la presse. Avant ça, j’ai fait un bac littéraire option théâtre. J’ai toujours baigné dans le milieu artistique. Suite à quoi, j’ai arrêté les études, je me sentais plus à l’aise et je m’épanouissais beaucoup plus dans tout ce qui était culturel. Je suis directement allée dans le monde du travail, j’ai été vendeuse aux Galeries Lafayette pour une marque pendant pas mal d’années.  Ensuite, je suis passée responsable de boutique chez Tara Jarmon. J’ai tenu la boutique du 17ème. J’ai commencé adjointe puis je suis passée responsable de boutique. J’adorais ce que je faisais parce que j’avais la chance de rencontrer des clientes différentes tous les jours. Mais voilà, au bout de 4 années, c’est un peu le même schéma. Il faut ouvrir la boutique, vérifier le stock, faire le zoning avec les vendeuses, les chiffres… C’était assez redondant et j’avais besoin d’évoluer. J’en ai parlé avec une amie d’enfance, Melha Bedia, avec qui j’étais au lycée. Je lui ai dit : “écoute, j’ai envie de bosser dans le milieu artistique mais je ne sais pas quoi faire. Je ne savais pas si je voulais reprendre le théâtre. Mais en tout cas, je savais qu’il fallait que ce soit dans le milieu culturel. Elle m’a conseillé d’appeler une amie à elle qui s’appelle Daisy et qui est toujours dans le milieu. Elle, qui est attachée de presse, m’a proposé de bosser avec elle. J’ai commencé en 2017 avec elle en tant que stagiaire, puis je suis passée attachée de presse junior. J’ai donc débuté avec un portefeuille d’artistes qu’elle avait déjà, avec justement Eric Antoine, Chantal Ladesou, Jérémy Ferrari, Jean-Luc Lemoine, Kheiron…  Je gérais beaucoup les phoners, les interviews par téléphone.

Aux alentours de 2014-15, j’ai commencé à bosser au Paname Art Café, dont j’étais cliente dès 2010, et dont le patron est Karim Kachour, en tant qu’hôtesse d’accueil. J’ai été embauchée par Karine Cachereau. À cette époque, j’ai été amenée à côtoyer beaucoup d’artistes. J’étais la personne qu’ils saluaient, on se parlait beaucoup. C’est là par exemple que j’ai rencontré Redouane Bougheraba. Il y rôdait de temps à autre, il n’était pas du tout connu à cette époque, c’était il y a une quinzaine d’années, et il faisait su stand-up à gauche à droite. Et il y a environ 3 ans, Redouane m’appelle, et me dit « Pourquoi tu ne veux pas travailler avec moi, tu te prends pour qui ? » (rires), je lui dis « mais de quoi tu me parles ? », il me répond « bah je ne sais pas, je vais faire 2 Bercy, 2 LDLC Arena, l’Orange Vélodrome, je veux bosser avec toi ». « Mais enfin Redouane, tu ne m’as pas demandé ! » « Donc là je te demande ! ». Et depuis, je m’occupe de lui, et on a travaillé très dur et très fort sur les 2 dernières années, que ce soit pour le Vélodrome, ou pour les films, et là on travaille sur le prochain spectacle prévu pour 2026. Bref, j’adore le monsieur, « le plus parisien des marseillais ». Il va me tuer pour avoir dit ça (rires)

Je n’ai pas fait d’études, c’était purement de l’analyse au départ. Je suis quelqu’un qui est férue d’aller rechercher des informations par moi-même. Donc, j’allais fouiller un petit peu dans les ordinateurs.  On était 5 dans le bureau à l’époque. Je m’amusais à me renseigner sur les communiqués de presse, les dossiers de presse, comment ça se faisait, comment gérer les plannings, etc. Tout ça, j’ai l’ai un petit peu appris sur le terrain.  

L.J : Ouais, en autodidacte, quoi…  

I : Ouais.  Et puis, en analysant un peu comment chacune des filles qui étaient dans le bureau travaillait, aussi. On m’amenait beaucoup sur les promos, je voyais comment ça se passait. Le fait de rester avec l’artiste, de le sécuriser, de discuter avec lui avant d’entrer en plateau, de gérer tout ce qui se gère en amont quand on prépare une émission. Tout ce qui est aussi gestion de taxi, etc. Tout ça, ça a été de l’apprentissage direct.  

L.J : Oui, sur le terrain. Et aujourd’hui c’est quoi tes motivations qui te font te dire : cette personne-là, j’ai envie de travailler avec elle !  Quel est le processus pour venir à accompagner un artiste ?  

I : C’est très aléatoire, pour être transparente avec toi. Mais si je suis le cours de ce que je te raconte, Daisy a ensuite pris l’initiative d’ouvrir sa propre boîte. Elle m’a dit, “ est-ce que tu me suis ? “  Je lui ai dit : “allez, let’s go”. Et on se retrouve à deux chez Happy-Dayz. Chemin faisant, après à peu près 5 ans de collaboration, on m’a sollicité aussi à côté.

Kalash, par @Nesko Kevin

Tu vois, par exemple, pour Kalash, c’est Marine Deloffre de chez Play Two qui m’appelle et qui me dit, écoute, on voit un peu comment tu bosses, on aimerait que tu t’occupes de lui. Pour en revenir à la question, j’étais en mode, « ok, pas de problème ». Par contre, j’ai besoin de le rencontrer. J’ai besoin qu’on se renifle, qu’on s’analyse mutuellement. L’humain prédomine sur tout le reste : c’est hyper important pour moi. Et puis, je rencontre le monsieur, et Clara, qui est sa femme et sa manageuse, et je m’attache tout de suite à eux. Et ça vaut pour Medine, pour Michou et pour tous ceux que j’accompagne encore aujourd’hui. Globalement, c’est comme ça que ça se passe, ou alors on vient me solliciter. J’avoue que jusqu’ici, j’ai n’ai pas eu la prétention d’aller chercher un artiste. J’ai la chance de travailler avec des artistes depuis des années.

Typiquement, Medine, c’est depuis 2018. Michou, je m’occupe de lui depuis qu’il a 17 ans.  On se suit mutuellement parce qu’on est complètement en accord avec notre manière de fonctionner. Je travaille aussi pas mal avec les productions. Notamment avec Live Nation, qui me fait confiance depuis des années sur plein d’artistes, sur plein de projets. Donc autant j’ai mes artistes à l’année, qui sont ceux que j’ai cités préalablement, mais il y a aussi les productions comme le festival de télévision de Monte Carlo, avec qui je travaille depuis 4 ans. Autant avec Live Nation pour les productions, que sur des artistes ou des événements un peu ponctuels, j’ai un répertoire qui est assez large. Je travaille avec tous les médias confondus : télévision, radio, web, print. Peu importe le média, j’arrive à percevoir ce qu’un artiste désire ou pas : c’est la force primordiale pour faire ce métier-là.  

L.J : Prenons Michou, ou Médine, ça fait des années que tu collabores avec eux. J’imagine qu’il y a une relation un peu spéciale qui s’instaure. Comment tu arrives à gérer ça, cette barrière entre pro et perso ?  

@aurel.vs (Aurélien Vives)

I : C’est une question difficile. Dans le sens où ce n’est même pas forcément en lien avec le travail, c’est purement de l’humain et j’ai toujours fonctionné comme ça. Il y a de l’affect, c’est évident. Par exemple, pour Kalash, j’ai vu sa fille grandir, j’étais là quand sa femme était enceinte. Les enfants de Medine, je les ai vus grandir et je les vois toujours grandir. Michou, il a 23 ans aujourd’hui, je m’occupe de lui depuis ses 17 ans. C’est obligatoire qu’il y ait une relation d’affect mais quand il est question du professionnel, l’avantage c’est qu’il y a cette relation de confiance absolue qui se crée mutuellement. On arrive à discuter de manière assez transparente sur ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas, à pouvoir argumenter de manière assez intelligente. Parfois tu as des artistes qui vont avoir des doutes sur certains médias, on en revient à ce que je te disais au début, il y a des médias dit mainstream qui n’étaient pas forcément férus de certains artistes. Aujourd’hui, heureusement, ça n’existe plus trop, mais t’as quand même des artistes qui ont un peu cette inquiétude de se dire : est-ce que je suis bien à ma place ? Évidemment que oui, ils le sont, mais il faut avoir les bons arguments pour leur expliquer. Cette relation de confiance permet de dire : “ Écoute, moi je suis là parce que je suis ton soldat, je suis là pour te protéger, t’accompagner…  Donc, il est évident que tu peux me faire confiance sur ce que je te propose.  » Et puis, au-delà de ça, quand on parle de confiance mutuelle, c’est aussi que l’artiste soit à l’aise partout où il est, avec toi et dans ce que tu vas lui proposer.  

L.J  : Cette confiance dont tu parles, dans ton métier, c’est le plus important pour toi ?

I : Il y a la confiance, oui, mais c’est aussi beaucoup de passion. C’est primordial d’être passionné par ce qu’on fait. Il faut que l’artiste ressente que tu l’es, autant au niveau de ton travail que de ce que tu perçois de lui et de ses projets. 

L.J : Sans parler de chiffres précis, comment les attachés de presse sont rémunérés ? Est-ce que ça fonctionne par mission, par forfait avec un artiste ?  

I : C’est hyper aléatoire. Je t’avoue que je ne sais pas forcément comment fonctionnent les autres.  Autant quand j’étais chez Happy-Dayz, j’étais salariée. J’avais tous les mois le même revenu. Depuis que je me suis lancée seule, ça dépend de la mission. Il y a une somme qui va être préétablie en discussion avec la production et où l’artiste est en autonomie. Tu valorises le travail par le temps que tu impliques. Mais c’est très compliqué, je ne saurais moi, à date, jauger mon temps de travail parce que c’est par période. Il y a des moments où je ne vais pas du tout compter mes heures et je peux avoir des journées qui se terminent à minuit, voire une heure du matin. Autant je vais avoir des week-ends sur lesquels je vais bosser parce que mon artiste est en concert et que j’ai des médias qui vont être en présentiel ce jour-là. Sur un film ou sur un album, très souvent tu travailles le mois et demi, voire les deux mois précédents, et encore un petit peu après. Selon les discussions, les artistes, les productions, selon ce que toi tu vas estimer en termes de charge de travail, tu vas établir soit un forfait, soit tu vas être payée sur une facture, donc ce sera sur du one shot, mais établi sur une période dite. C’est pas une science exacte.  

L.J : Et pour parler projet, quels sont tes envies et tes futurs projets ?  

I : Bonne question. Je t’avoue que je suis un peu de ceux et celles qui vivent au jour le jour.  Mais bon, en vrai, nous (les attachés de presse), notre boulot, nous oblige à avoir une visibilité à long terme. On est en juin, mais je suis déjà sur des projets qui vont être en janvier 2026.  Donc, c’est un peu mentir que de dire ça. Mes projets futurs, c’est large. Je suis très satisfaite de ce que je vis à l’heure actuelle, des artistes et des événements avec lesquels je travaille et de ceux qui arrivent. L’idée, c’est de perdurer avec eux, ça appuie quelque chose. Parce qu’au début, j’avais un peu ce syndrome de l’imposteur. J’étais en mode « mais pourquoi on me félicite, on me fait autant confiance alors que j’ai pas l’impression de faire des choses hyper waouh ». Mais en fait, si, j’ai le droit de me dire que je suis fière de moi. Mais mes artistes me le font sentir aussi et c’est grâce à eux aussi que je grandis. Je suis hyper fière de les accompagner dans tout ce qu’ils font. Le principe, avant tout, c’est de mettre en avant leur projet, d’établir des stratégies de communication. On revient encore sur cette idée de confiance, souvent un artiste est accompagné de toute une équipe. Il faut être assez polyvalent, avoir la bonne réflexion, la bonne stratégie promotionnelle, la bonne visibilité. Tout ça, ce sont des échanges et c’est hyper important. Sur le futur, l’idée, ce serait de perdurer en ce sens, tout en me tournant vers d’autres projets sur lesquels, jusqu’alors, je n’avais pas forcément envisagé de travailler. Mais, je crois que je ne suis pas dans une optique d’avoir des trucs beaucoup plus massifs. J’estime que les artistes ou les productions avec qui je collabore aujourd’hui, c’est déjà super.  Je me suis déjà retrouvée à bosser sur un 50 Cent, sur un Davido ou encore sur les artistes de RuPaul’s Drag Race.  C’est déjà une sorte de rêve éveillé.  C’est hyper kiffant.  

L.J : C’est un super mot de la fin. Au nom de toute l’équipe, je te remercie pour ton temps et ta dispo !

I : Merci à vous !

Mené par Lil Julia

SKUUURT Mag #8


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