BENJAMIN EPPS , l’enfant sacré de Bellevue

entretien mené par Scolti et Dan, au Grand Mix, Tourcoing, 27 février 2025

SCOLTI : Salut Benjamin Epps, re-bienvenue chez SKUUURT ! Épisode 3, 3ème fois qu’on se voit, quasiment à chaque nouveau projet que tu sors, et donc on se verra probablement encore d’autres fois, parce que tu ne chômes toujours pas, et il se passe toujours quelque chose, t’es toujours productif, t’as toujours une proposition. Une forme de productivité qui n’est pas dans l’excès, dans le sens où on ne voit pas un single d’Epps qui sort toutes les deux semaines, comme on peut le voir avec d’autres artistes, donc y a à la fois cette productivité et cette envie de qualité dans ce que tu proposes, parce que ce sont des projets aboutis, c’est ta démarche ?

BENJAMIN EPPS : c’est voulu, et puis y a aussi la donnée « vie », tout simplement, j’ai une famille, je suis père de famille, j’ai besoin de ce temps-là, parce que je pense que c’est même quelque chose qui me nourrit un peu, mais aussi je me dis qu’il faut vivre et il faut avoir des choses à raconter, et si tu sors un single toutes les semaines…

S : C’est que t’es dans une bulle de musique, qui te détache de la réalité

B.E : Voilà, c’est ça, j’ai l’impression, ouais.

S : Donc t’as besoin de cet ancrage dans la réalité

B.E : Ouais, j’ai besoin de voir des gens, j’ai besoin de discuter, j’ai besoin de lire, j’ai besoin de me nourrir, de voyager, pour pouvoir donner aux gens des trucs assez qualitatifs quand même. Après, qualitatifs, de ma bouche je sais pas, mais en tout cas c’est ce que j’entends souvent de la bouche des autres et ça fait plaisir quand même

S : Et donc t’arrives avec ce nouveau projet L’enfant sacré de Bellevue, dans lequel y a 2 feats dont j’aimerais qu’on parle un peu. Tout d’abord Abd Al Malik, je pense que tu l’as rencontré à la piscine de Roubaix, le soir où on était ensemble, j’étais avec Kanta et on observait la scène de loin. Comment s’est faite la connexion ce soir-là ? Est-ce que c’est toi qui allais vers lui parce qu’il y avait cette envie de pouvoir collaborer avec Abd Al Malik ? Est-ce qu’il est venu vers toi ? Est-ce qu’il y avait une envie de se rencontrer ou alors une envie de travailler ensemble ?

B.E : Je suis fan de sa musique, fan du rappeur, fan du poète, fan du personnage aussi. Je trouve qu’il a ce côté profond, deep, que j’aime beaucoup. Je trouve que c’est quelqu’un de très cultivé aussi. Et ce jour-là à Roubaix, effectivement, je sais qu’il est là, mais je ne sais pas qu’on aura le temps de se rencontrer et de se parler. Donc je prends le micro, je fais ma scène et au sortir de ça, on se voit, on se parle et la connexion…Ça prend. Ça prend tout seul, tu vois. Et je me dis que je suis en train de bosser sur l’album, il faudrait qu’on fasse quelque chose ensemble. Après, dès qu’il m’ait dit « pas de problème »..mais il me parle d’un projet, avant, et quelques semaines après, je réfléchis à l’album et je me dis que ça pourrait être bien. Et je lui fais la proposition, il accepte et boom.

S : Et du coup ça se fait

B.E : Et du coup ça se fait.

S : Il ouvre l’album, c’est la première voix qu’on entend, avec brio, toujours égal à lui-même. Qu’est-ce que t’as pensé quand t’as entendu ce couplet ? Et te dire « mon album s’ouvre avec un couplet d’Abd Al Malik

B.E : Je me suis dit que c’était extraordinaire parce que finalement il est une voix que j’ai toujours écoutée, l’avoir sur mon album, ça fait quelque chose. Des fois, quand on a les pieds dedans, on ne s’en rend pas compte, mais avec un peu de recul, quand je regarde tout ce que j’ai fait ces cinq dernières années, je me dis quand même que c’est solide d’avoir Abd Al Malik sur son album. C’est une preuve de solidité. Ça veut dire que, je ne suis pas tout seul, mais ça veut dire qu’avec l’équipe, on a bien bossé, on a fait le travail quand même.

S : Dans la continuité, il y a Conway The Machine. Est-ce que t’as pu t’empêcher de te dire que cette connexion qui s’est probablement faite naturellement, parce que j’ai cru comprendre que t’étais allé là-bas, je suis un peu ce qui se passe sur tes réseaux, cette connexion qui s’est faite naturellement allait peut-être faire taire certaines mauvaises langues ? Parce que si lui te valide, lui qui est le demi-frère de Westside Gunn, c’est qu’il n’y a plus de débat, c’est qu’il n’y a pas d’histoire à raconter.

B.E : Mais j’ai rencontré Westside Gunn à Paris aussi.

S : Voilà, ce qui normalement devait faire taire les débats à ce sujet.

B.E : Je pense que les débats ne cesseront pas, parce que ça fait partie du truc, tu vois. Ça fait partie du jeu et même pour moi, c’est bien parce que les gens en parlent et mon nom continue de tourner et c’est bien pour la musique. Mais je crois que les débats ne cesseront pas, en tout cas de ce que je vois. Et ça ne me gênait pas, déjà à l’époque, aujourd’hui ça me gêne encore moins. Je réussis à tourner, je réussis à voir des gens, aller rencontrer les gens, les gens viennent à mes concerts, ils écoutent ma musique. Donc finalement, ça veut dire que ça n’a pas de grande incidence, tu vois. J’aurais pu avoir Westside Gunn aussi sur l’album, mais je réserve ça pour une prochaine fois.

Dan : Let’s go ! Et tu ne t’es jamais caché de ton attrait pour Griselda. Sur ce projet-là, on remarque aussi d’autres notes anglo-saxonnes. Il y a le refrain de La Fayette qui reprend le gimmick de « Praise the lord » d’A$ap Rocky

B.E : Ouais, on m’a dit ça, mais je te jure…Ce n’était pas voulu, mais j’ai appris, mais l’histoire est folle en fait. C’est mon manager qui m’a fait remarquer ça. Et il me fait remarquer ça avant que l’album ne sorte. Et j’aurais pu enlever le morceau et me dire, peut-être que, ouais, voilà, c’est ça. Et puis bon, ça ne m’a pas gêné, je trouvais ça bien.

D : Sur ce morceau-là, déjà, tu as le refrain où tu reprends sans faire exprès, du coup, le gimmick de « Praise the lord ». La fin du son, c’est une version chopped and screwed.

B.E : Ça, c’était voulu, tu vois.

D : Et ça, c’était bon. Mais est-ce qu’un public qui attend du Gazo ou du Luidji, dans l’idée, est prêt pour des réfs pointues comme ça ?

B.E : OK. Tu sais, quand j’entreprends de faire un album, je ne me pense vraiment pas au public. Je pense à moi. C’est vraiment ma démarche, quoi

S : Avec tes réfs

B.E : Avec mes trucs à moi, oui. Le premier album, j’ai pensé au public, vraiment. J’étais dans un truc où, quand je dis « j’ai pensé au public », on me faisait beaucoup de critiques. Les gens me disaient « tu fais beaucoup d’ego trip et tout ». Nous, on ne sait pas qui t’es, on ne sait pas d’où tu viens, on sait que tu rappes, on sait que tu es un bon rappeur et tout, mais c’est à peu près tout ce qu’on sait. Et j’en ai tenu compte dans le premier album. Vraiment, je voulais que les gens apprennent à me connaître. J’ai fait un morceau qui s’appelait Bienvenue à Bellevue. Il y avait vraiment cette volonté-là. Mais depuis, je suis vraiment dans un truc où je me dis finalement…

S : On en a parlé dans l’épisode 2 de nos interviews, où il y avait ce côté « t’arrives avec une volonté de challenge », et puis il y a presque un côté où tu t’apaises.

B.E : Ouais, voilà, c’est ça. Exact. Je tenais vraiment à ce que ce ne soit plus seulement une carte de visite, mais vraiment que j’entrouvre la porte de chez moi et que je dise aux gens « Allez venez, entrez, et asseyez-vous, et je vous fais découvrir l’endroit ».

S : Et puis t’arrives dans la confection d’une œuvre finalement, qui se construit étape après étape.

B.E : Exactement. Et cet album-là, c’est vraiment la suite de ça. Là où dans le premier album, je disais « Asseyez-vous, et découvrez », là je leur ouvre les albums photos et je leur raconte l’histoire d’un tel, d’un tel, voilà comment ça s’est passé. Lui, on l’appelle comme ça, voilà ce qu’il faisait au quartier, voilà comment ça se passait. Moi, j’ai grandi là.

S : Comme Champelain

B.E : Comme l’interlude Champelain, qu’on appelle Charlie

S : Et donc, cet album qui s’appelle L’enfant sacré de Bellevue…cet enfant, c’est toi ?

B.E : C’est moi. C’est tous les enfants avec qui j’ai grandi, tous les gens qui ont été des enfants à un moment donné, qui ont eu une vie difficile, difficile au sens du jeune librevillois Gabonais, tu vois, parce qu’on a tous et toutes des vies difficiles, chacun à son échelle, à son niveau, tu vois, on n’a pas les mêmes difficultés, mais c’est des difficultés quand même

S : Je m’interrogeais si ce côté sacré venait du fait que tu étais parti pour avoir une forme de succès, de reconnaissance, et qu’en revenant, il y avait le côté boxeur-champion qui est rentré à la maison.

B.E : Il y a de ça aussi, ouais. Dans l’idée, il y avait clairement de ça. Il y avait l’idée de, effectivement, je suis parti sans que personne ne mise rien sur moi, et je suis revenu un peu avec le truc de «  ah, j’ai réussi à faire quelque chose avec ce petit truc qu’on appelle le rap », dont tout le monde rigolait au quartier finalement.

S : Et qui intéresse des gens, dont nous.

B.E : Plein de gens aujourd’hui, qui fait qu’on m’interviewe et tout, c’est cool.

D : Donc tu reviens d’un pari gagnant, L’enfant sacré de Bellevue, c’est le titre de l’album, c’est aussi le titre de l’intro, dont on a déjà parlé, sur laquelle tu es introduit par Abd Al Malik. Et ensuite, dans la deuxième partie, tu kickes beaucoup plus, et dans ce kickage, tu dis que tu as été élevé par une femme, mais est-ce que t’as pas aussi été élevé par Bellevue au fond ?

B.E : J’ai été élevé par une femme, mais effectivement j’ai aussi été élevé par Bellevue parce que, je vivais avec ma mère et mes frères, et ma mère bossait. Tu sais, au Gabon, les gens bossent même le week-end. Donc ma mère bossait les samedis, et moi, là où j’allais à l’école, c’était pas loin de là où ma mère bossait, mais du coup les week-ends, j’avais pas école, et elle, elle allait quand même au taf, et les moments où j’avais pas cours, je passais beaucoup de temps au quartier, c’était mes moments où j’étais le plus libre, et je découvrais des endroits, j’ai eu la chance d’avoir des frères, mais les copains avec qui je traînais, eux, c’était eux leurs propres grands frères, donc les gars m’emmenaient dans des endroits où j’avais pas été avant, découvrir des trucs que je connaissais pas, c’est là que j’ai fumé pour la première fois, c’est là que j’ai fait plein de trucs, et donc, et donc oui, on peut arriver à la conclusion que Bellevue m’a éduqué aussi.

D : Ça aussi fait partie de ton évolution, tu t’es aussi découvert à travers cet endroit.

B.E : Exactement

S : Nakata, c’est le prénom de ta mère ?

B.E : Non. C’est quoi alors ? Nakata, c’est rigolo. J’ai toujours rêvé d’être footballeur, et ça s’est pas fait, et on m’appelait Nakata, parce qu’en fait au sortir de la Coupe du Monde 2002, en Corée et au Japon.

S : Alors pour resituer, c’est une interlude qui s’appelle Nakata dans l’album, et dont tu parles de toi, mais aussi de cette mère qui élève seule. C’est pour ça que je me demandais si c’était le prénom.

B.E : C’était pour introduire le morceau qui s’appelle Le Dernier Garçon, donc c’était pour parler de moi. Nakata, c’est un joueur de football japonais, numéro 7 du Japon.

S : Dans l’album, il y a aussi le titre Le Message, quadruple réf.

Il y a celle à Grandmaster Flash and The Furious Five, The Message, qui a lancé le rap dit conscient

il y a aussi The Message de Nas, le titre mythique,

Message, d’Idéal J aussi, qui était déjà une réf à ces deux-là préalablement.

Et enfin, la nappe qu’on a découverte dans That’s My People de NTM.

B.E : Chopin

S : Est-ce que c’est une nouvelle façon pour toi de te positionner sur l’échiquier en faisant autant de grosses réfs dans un seul morceau ? Il fallait oser déjà reprendre la nappe de That’s My People.

B.E : Il allait pas faire l’album, Le Message, c’était vraiment last minute. Mais j’aimais le morceau, je l’ai trouvé bien, je l’ai trouvé bien écrit. Je me lasse vite de mes morceaux, en tout cas parce que je les écris, souvent je les compose et je m’enregistre, donc je passe du temps à les écouter, et donc souvent je me lasse vite des morceaux, mais là, il y avait un truc, je l’aime bien, je l’aime vraiment bien ce morceau.

S : Dans le fait de l’approcher, il y avait un truc « même pas peur, rien à foutre, j’y vais. » Parce que tu savais qu’on te ferait la remarque en général

B.E : Oui, oui, oui. Et à la base, j’avais mis le « I make music for my people » sur le truc, mais après je me suis dit non, peut-être que c’est too much, je veux que mon morceau existe

S : Qu’il ait son identité

B.E : Qu’il ait son truc à lui déjà, malgré la réf. Et je pense qu’il vivra quand même dans l’ombre de NTM et du morceau d’NTM interprété par Kool Shen, That’s my people, mais c’est pas grave, le temps passe, les jeunes d’aujourd’hui découvrent quelque chose. Donc eux, ils écoutent un morceau

S : Ouais parce que tout le monde n’a pas la réf, c’est vrai

B.E : Tout le monde n’a pas la réf. Ceux qui ont mon âge, quand ils écoutent Killing me softly de The Fugees, pour eux, ce que Lauryn Hill chante, ce sont ses lyrics à elle, sans avoir la réf préalable, parce que c’était une reprise.

S : Et de quoi parle Le message version Benjamin Epps ?

B.E : Le message, mon message à moi, c’est sois positif, fais ton truc, les gens voudront toujours te mettre des bâtons dans les roues quand ça fonctionne, tu te manges les critiques, tu te manges tout, mais ça fait partie du jeu. Il faut se battre, il faut avancer au maximum. Et je trouve qu’on vit vraiment dans l’époque où on passe vraiment du coq à l’âne en 5 secondes. Le scandale aujourd’hui, c’est pourquoi les caméras filment en 4K, et le scandale de demain, c’est pourquoi elles filment en 6K. Donc tout de suite, on est dans la polémique qui va… ça va comme ça. Et donc ça s’applique…le message s’applique encore plus à… comment dire…à la réalité d’aujourd’hui. C’est genre…les gens parlent, les gens disent des trucs. C’est pas grave. C’est toi le sujet de conversation aujourd’hui, demain ce sera un autre. Si tu es concentré sur ton truc, fais ton truc parce que c’est tout ce qui compte à la fin.

S : Sois-toi

B.E : Sois-toi, exactement

D : Et reste-toi surtout. Et dans le clip de Le Message, il y a JoeyStarr qui apparaît et qui transmet les armes. En plus au niveau des lyrics, tu déplores aussi un peu le niveau actuel. Il y a une punch où tu dis « le niveau est tellement bas qu’il s’émerveille devant un noir avec une élocution basique ». Donc le niveau n’est pas fou. Tout en revendiquant ta stratégie de ne pas te conformer à la norme, d’appliquer ton message, de rester toi. Est-ce que tu te considères comme un des derniers héritiers de cette génération qui dénonçait plus, qui parlait plus, qui osait plus ?

B.E : Non. En général, je refuse de porter des héritages comme ça parce que ça peut peser sur les artistes. Je pense que je ne suis pas le seul à passer des messages. Je pense que tout le monde passe des messages à son échelle. La forme dans laquelle je fais mon truc fait qu’il y a un truc un peu rétro, un peu nostalgique. C’est ça qui fait que les gens assimilent ça à du « rap conscient ». Mais vraiment, je n’ai pas envie de porter cet héritage-là, même si je vois bien que les anciens me valident, ils veulent me donner ce truc-là, mais j’essaie de rester à ma place (rires). J’ai vraiment envie que dans 10 ans on dise «ah ouais, en vérité, il a porté le truc ». Mais je ne veux pas qu’on me donne le truc et on me dit « vas-y, cours avec ». Tu vois ce que je veux dire ?

D : Tu préfères le prendre une fois que tu es arrivé

B.E : Exactement. Je préfère que les gens s’assoient et regardent un peu en arrière et se disent « ah, en fait, c’était lui qui portait le truc ». Je pense que je suis plus dans cette démarche-là.

S : On parle de Epps, rappeur, mais il y a aussi les instrus. Même si tu produis aussi, parce que tu es beatmaker, j’aimerais qu’on s’arrête sur Mozarf. J’ai été surpris de le voir apparaître sur ton album. Je le connais par l’intermédiaire du Krump, je l’ai vu dans plein de battles. J’ai trouvé surprenant qu’il puisse se retrouver sur ton album. On m’a d’abord dit qu’il y avait Mozarf, avant que j’écoute. Je me suis dit « comment peuvent-ils s’adapter l’un à l’autre ? ». Finalement, ça matche super bien. Comment t’as abordé le travail avec lui alors qu’il a cette patte singulière ?

B.E : On se connait depuis le début de l’aventure Benjamin Epps. J’ai fait tout l’album avec lui. J’ai voulu être là du début jusqu’à la fin, j’ai voulu faire le truc comme je ne le fais pas souvent. L’album d’avant, La Grande Désillusion, j’étais vraiment dans le « je prends un pack de prods et je choisis la prod ». J’ai quand même beaucoup bossé comme ça et là, j’étais vraiment avec lui tout le temps. Même si sur La Grande Désillusion j’ai travaillé avec DJ Stresh, on a fait pas mal de séminaires et on a essayé de faire des trucs ensemble, mais l’essentiel de l’album, c’était vraiment du pack.

S : Il a dû te décharger un peu pour laisser de la place à la voix parce que je le connais comme quelqu’un de très musical, où c’est très chargé, parce qu’il n’y a pas de voix sur ce qu’il propose en Krump

B.E : Il a vraiment fait sur commande. J’étais avec lui, je disais « ok, tiens, j’ai ce sample-là, je veux qu’on travaille autour de ça ». Il me propose des trucs, je dis « non, je préfère partir dans cette direction-là ».

S : Et il est aussi ton DJ maintenant

B.E : Et c’est mon DJ maintenant. J’ai travaillé avec DJ Stresh avant. DJ Stresh voulait faire moins de concerts cette année, moins de tournées, il voulait se concentrer sur lui. Donc Morf s’est proposé, naturellement. Il a produit 90% de l’album, c’était le pic idéal.

S : Dans Bibang et Les Aller-Retours, tu dis « pas d’histoire frère, juste ma réalité » dans le refrain. Récemment, on connaît l’histoire, on ne va pas y revenir, on a essayé de dépeindre ta réalité à ta place sans forcément la connaître intimement

B.E : Tu parles du clash

S : Je parle du clash, j’évoque le clash, mais je n’ai pas envie spécialement de… Ce n’est pas ça qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse, c’est comment on se défait des rumeurs ou des tentatives de discrédit. On sait à quel point c’est compliqué maintenant quand on nous colle une rumeur ou qu’on essaie de nous discréditer, on doit faire la preuve du contraire. Comment on se sort de ça ?

B.E : En restant concentré

S : En faisant un nouvel album par exemple ?

B.E : Non, pas nécessairement. Par exemple, pendant cet épisode-là, j’ai fait un morceau. Et dans le morceau, j’ai dit que je ne ferais pas un deuxième morceau. Tu restes sur ce que tu dis, tu fais ton truc, tu vas tout droit en fait, tu restes concentré. Je pense que vouloir apporter « la preuve de », c’est étaler le truc, c’est continuer de nourrir et d’alimenter quelque chose. Et je pense que le plus important, c’est de foncer. Reste concentré sur tes objectifs, sur ce que tu fais

S : Et ne te retourne pas.

B.E : Non. Je pense que quoi qu’il arrive, il y a eu ça, mais quoi qu’il arrive, il y en aura toujours. Je pense que c’est la vie qui est comme ça. Il y en aura toujours. Sur votre route, à vous, Skuuurt, vous allez vous confronter à ça, aux gens qui vont dire que Scolti ne paye pas bien ses collaborateurs, ou truc ou machin. Tu as des gens qui travaillent avec toi.

D : Oui, je suis vraiment super bien payé

B.E : (rires) Non, mais ce que je veux dire, c’est que ça fait partie du truc. En fait, plus les années passent, surtout quand on est père de famille, c’est une des leçons qu’on apprend. C’est-à-dire qu’on apprend la patience. Si tu pètes les plombs au premier pétage de plomb, tu ne t’en sors pas.

D : Et moi, il y a un morceau qui m’a particulièrement marqué sur l’album, c’est Le jeune moi.

B.E : C’est mon morceau préféré

D : J’aime beaucoup. Tu parles du toi d’il y a quelques années. Dans un premier couplet, tu fais un constat sur l’environnement dans lequel tu as évolué, ce qui t’a manqué

B.E : Oui, l’argent, l’argent, l’argent, l’argent

D : Tu connais ! L’environnement dans lequel tu as évolué, ou pas évolué, ce qui t’a manqué donc, et tu enchaînes avec un deuxième couplet où tu analyses de manière assez dure les décisions que tu as prises. Et dans le refrain, t’expliques avoir plein de regrets. Qu’est-ce que tu as mis en place pour éviter d’avoir des regrets ? Parce que si tu fais un morceau où tu fais ces constats, c’est que tu as évolué là-dessus. Et du coup, je me dis que pour ne pas le reproduire, tu mets des choses en place.

B.E : Oui, j’essaie de ne plus garder les trucs pour moi. En tant qu’Africain, on a une culture où on ne parle pas aux aînés

D : Ouais, il faut beaucoup intérioriser

B.E : Déjà, tu ne parles pas aux aînés, on s’en fout de ce que tu ressens. Ce n’est pas ça qui est important. Et donc moi, ce que j’inculque à mon fils, c’est « parle-moi ». Quand il revient de l’école, je lui dis « qu’est-ce que tu as appris à l’école ? Est-ce que tu as été respectueux envers tes copains, envers les maîtres, les maîtresses ? Et quand il fait une bêtise : qu’est-ce que tu as fait ? Parle-moi. Qu’est-ce que tu ressens ? » Tu vois ce que je veux dire ? Comme ça, lui, il prend des bons réflexes. Et il peut me dire, le jour où il se passe quelque chose dehors, je pense qu’il aura suffisamment confiance pour me regarder dans les yeux et me dire « le vieux, voilà ce que j’ai fait. » Et c’est ça que je retiens de ce qui s’est passé avec moi. J’étais le dernier, je n’avais pas forcément la parole. Donc, j’intériorisais beaucoup. J’ai vécu chez ma grande sœur pendant trois ans avec un beau-frère, un mec qui était très sympa, avec qui j’ai de bons rapports aujourd’hui, mais qui a été violent envers elle et envers moi aussi. Et donc, quand je suis rentré à la maison, après, je n’ai jamais dit ça à ma mère. Mais moi, ça me travaillait, et ça m’avait fait des trucs. Et je n’en ai vraiment jamais discuté avec ma frangine, tu vois.

S : Encore maintenant ? Ou tu as eu l’occasion de…

B.E : Non, encore maintenant, on n’en a pas encore…Tu vois, on ne s’est pas posé pour en discuter.

S : Mais là, par exemple, elle voit que t’en parles

B.E : Je ne sais pas si elle suit les…

S : T’as moins de pudeur. T’as pas cette pudeur, tu sais que tu dois en parler

B.E : J’en parle parce qu’il pose la question, tu vois. Je n’irai sûrement pas dans les détails, parce que le bon réflexe, c’est sûrement d’en parler avec elle avant. Mais tu vois, cette période de ma vie-là m’a marqué et elle me marquera jamais. C’est la première fois que je voyais ma sœur dans cette position-là. Et c’est ma sœur aînée. C’est-à-dire qu’après, ma mère, c’est elle. C’est elle qui nous a portés, c’est elle qui nous a éduqués.

S : La grande sœur

B.E : C’est vraiment la grande sœur, tu vois. Et voilà, c’est des petits trucs comme ça. Mais ça, c’est quelque chose parmi plein d’autres situations, où je me dis, OK, je n’ai pas réussi à dire ces choses-là, ni à ma sœur, ni à ma mère, il faut que j’essaie d’instituer une autre relation avec ceux qui viennent, pour que, quoi qu’il arrive, le jour où il se passe… Regarde, là, en ce moment, il y a des trucs de Bétharram ou je ne sais pas quoi, il y a des enfants qui vivent dans des familles où ils ne peuvent rien dire aux parents. Ils ont peur. Déjà, ils ont peur de se faire allumer à la maison. Et donc, ils ne peuvent pas dire ce qui se passe à l’école. Alors que le premier réflexe d’un gamin, c’est de se dire, si je ne suis pas protégé à l’école, c’est à la maison. Superman devrait être à la maison, ou Superwoman, ou ce que tu veux, tu comprends ce que je veux dire. Et si les enfants ont du mal à parler, c’est qu’il y a quelque chose. Notre génération, un peu moins, j’ai l’impression. J’ai l’impression que les rapports…( à Scolti ) Tu as des enfants ?

S : Oui

B.E : Tu vois, j’ai l’impression que les rapports sont plus cool. (à Dan) Tu as des enfants ?

D : Moi, je n’ai pas d’enfants, mais ça s’adoucit au fur et à mesure. Enfin, je le vois avec mon père, par exemple, tu vois, c’est plus cool que ça a pu l’être, tu sens que la société évolue, les relations entre enfants et parents évoluent aussi.

B.E : Exactement, exactement. Si tu te prends une claque à l’école, je peux te dire que… Moi, mon fils, s’il se prend une claque à l’école, frère, je fais fermer l’école, tu vois. Tout de suite. Parce qu’il va me le dire. Donc, voilà, c’est la vie d’un jeune homme qui ne veut pas reproduire les mêmes erreurs, tout simplement. C’est ça Le jeune moi. Je lui dis « j’aurais fait les choses différemment ». Donc, je parle au jeune moi de trucs. Je lui dis, à ta place, j’aurais tout raconté. Parce que tu vois, je vivais chez mon beau-frère, et c’était la première fois que je voyais un Macintosh. Il travaillait chez IBM à l’époque, à Libreville. Et il avait un Macintosh, il avait la Super Nintendo. Moi, un petit gars qui vient de Bellevue, qui n’a jamais vu ces trucs-là, je devenais fou, frère. J’avais la Super Nintendo à la maison. Je devais rentrer à la maison les week-ends chez ma mère, mais je ne rentrais même plus les week-ends. Je passais toute la semaine chez ma sœur. Donc, je faisais l’école parce que j’étais censé rester toute la semaine de l’école. Et les week-ends, j’allais un peu voir ma mère. Mais là, les week-ends, je restais à la maison. Il y avait des jeux sur ordinateur, je jouais. C’était le truc. J’oubliais mes souffrances. J’oubliais le truc de « Eh, quand tu as 9 ans, tu as besoin d’être avec ta mère », en fait. Tu as besoin d’être à la maison

D : Et ce texte, Le jeune moi, si tu devais le réécrire dans 10 ans, tu penses que tu écrirais quoi ?

B.E : On verra dans 10 ans. On verra dans 10 ans. Ouais. Je dirais peut-être que j’aurais dû être plus dur avec mon fils. Tu comprends ce que je veux dire ? Parce que peut-être qu’il est gâté ou peut-être que…Je ferai le bilan, mais ça, ce ne sera que dans 10 ans.

S : On se rend compte des erreurs, on ne peut pas les éviter ?

B.E : Exact. Tu vois, là, je fais le maximum. Je ne sais vraiment pas où je serai dans 10 ans. Si ça se trouve, j’aurai arrêté le rap. Je serai quelque part au Gabon, dans une ferme, tranquillement à élever des cochons et des poules.

S : On viendra te voir là-bas

B.E : Ah, mais avec plaisir, les gars.

S : Merci beaucoup, Benjamin Epps

B.E : Merci à vous

S : Épisode 3

B.E : Yes ! Merci. SKUUURT ! À très vite !

Nouvel album dispo le 6 juin 2025


En savoir plus sur Sans Esquives

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Un commentaire sur “BENJAMIN EPPS , l’enfant sacré de Bellevue

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑