Scolti : Salut Souffrance, bienvenue chez SKUUURT, c’est un réel plaisir de te recevoir aujourd’hui au Flow, à Lille. Je te reçois aujourd’hui dans le cadre de ton dernier album Hiver Automne qui est sorti tout récemment, mais plus globalement pour te rencontrer, tout court
SOUFFRANCE : Merci pour l’invit’ !

Sco : et permettre à tous ceux qui ne te connaissent pas encore de pouvoir te découvrir un peu plus. Perso, je t’ai découvert quand j’ai interviewé Rocca, parce que t’apparaissais en feat dans son projet de l’époque, donc on a eu l’occasion de discuter de toi, c’est comme ça que j’ai découvert qui était Souffrance. Et on va commencer par ça. Quelle reconnaissance te touche le plus ? Celle de tes pairs, particulièrement des anciens ? Celle du public ? Qu’est-ce qui t’atteint le plus ?
SOUFFRANCE : En fait, les deux à parts égales je dirais, parce qu’en fait quand tu fais quelque chose que t’aimes…quand je travaillais, la reconnaissance, j’en avais rien à foutre. Ce que je voulais c’est qu’on me rajoute du salaire. Donc le patron qui te met une tape sur l’épaule, un mec qui dit t’as bien bossé et tout ça, bon, j’en avais rien à foutre. Et dans le rap, dans le milieu que j’aime et dans l’art que j’aime, être reconnu par des mecs qui ont des grosses carrières comme ça, et des mecs qui ont vraiment marqué notre culture, notre mouvement ou je sais pas comment l’appeler, franchement c’est vraiment puissant comme délire. C’est vraiment très très puissant, parce que c’est des mecs que, quand j’écoutais à l’époque, je trouvais intouchables. Aujourd’hui il y a moins ce côté intouchable qu’on avait vraiment à l’époque, c’était beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui d’avoir de la visibilité. La reconnaissance des pairs, ça envoie une émotion forte quand même.
Sco : Tu me parles des anciens là. Ça a son importance ?
S : Ouais, les anciens ça a son importance parce que moi je suis né en 86, donc forcément le rap, je l’ai connu à l’ancienne. Mes figures de rap, c’est les années 2000 surtout. Et un gars comme Rocca, quand j’écoutais du rap, c’était déjà un ancien, tu vois ce que je veux dire. Mais faire un feat avec lui, c’était quelque chose de fort. Oxmo Puccino aussi, avec qui j’ai fait un feat, c’est fort d’être validé par des gars que tu as écoutés et que tu te dis “putain, il valide la plume”.
Sco : Comment ça s’est fait avec Rocca ?

S : Ça s’est fait par DJ Duke. J’étais beaucoup en contact avec DJ Duke par le biais de Rockin’ Squat, grosse force à Rockin’ Squat, qui a beaucoup aidé mon groupe L’Uzine. On devait faire un concert au Nouveau Casino, Squat a dit, attends, t’inquiètes, je connais les bails. Il nous a beaucoup aidé. Et donc à l’époque, j’avais fait écouter mon 2ème projet Le Peuple a faim à Duke, qui a pété un plomb.
C’était un mec super, un mec avec qui le contact se faisait très très facilement. C’était un gros passionné, et ça me faisait kiffer que quelqu’un que je connais ni d’Adam ni d’Eve, tombe sur le truc et qu’il se prenne une gifle. Il m’avait dit un truc de ouf, il m’avait dit “tu mets trop de punchline carrément”. Il me dit “on n’a pas le temps de les digérer” . Et donc, ouais, Duke fait le délire mash-up avec Rocca, Rocca ne me connaît pas et Duke lui dit “attends, tu vas faire un feat avec un Français, je sais qui c’est”. Donc Duke m’appelle, il me dit “ est-ce que t’es chaud pour faire un feat avec Rocca ?” Je lui dis “C’est incroyable, gros !” Moi, j’y pensais même pas, je n’avais même pas l’idée en tête. Donc, il m’amène ça comme ça sur un plateau, petite cuillère, dessert, tout ce que tu veux. Donc, incroyable. J’écoute le texte, et je vois qu’il est dans un texte engagé.
Sco : Tel un Rocca
S : Tout simplement. Et je suis parti sur ce thème-là et franchement, c’est un de mes couplets préférés, celui-là, il est surpuissant.
Sco : Et il en est très content. Il t’a vraiment encensé lors de notre rencontre. Gros big up à Rocca !
S : Ouais, on l’a fait sur scène aussi, il marche super bien sur scène. On a fait un clip que je kiffe bien avec Tanguy (Courtier). Donc, franchement, très content de ce son.
Sco : T’as évidemment aussi ton parcours avec l’Uzine. Puis l’avancée en solo, qui nous amène donc aujourd’hui à Hiver Automne, ton dernier album. Je vais très vite sur ton parcours solo. Hiver Automne qui sort finalement au printemps
S : Non, le 14 mars. C’est le 21 mars, le printemps. Le 14 mars, c’était encore en hiver.
Sco : Il n’était pas prévu pour décembre, novembre ?
S : Si, il était prévu pour novembre, décembre.
Sco : Est-ce que c’est pas ça, être hip-hop ?
S : Je ne sais pas. En tout cas, moi, j’étais en retard avant d’être hip-hop.
Sco : Est-ce que c’est pas pour ça que tu es aussi hip-hop ?
S : Tu veux dire du fait de repousser ?
Sco : Ouais, parce qu’il y a des aléas aussi, parce qu’il n’y a peut-être pas non plus une grosse machine derrière
S : C’est vrai que ça a été une question qui s’est posée, le titre de l’album, tu vois. Est-ce qu’on change le titre ou pas ? Et finalement, non, parce que c’est surtout Tony qui défendait l’idée, Tony Toxic, du groupe L’Uzine, qui est à la direction artistique avec moi sur tous mes albums et qui fait la plupart des instrus, et qui me disait « Écoute, gros, un titre, de toute façon, les saisons passent, le titre reste. Si on le sort au printemps…” Enfin, on l’a sorti quand même en hiver. Mais c’était important pour moi quand même de le sortir en hiver. Donc, on l’a repoussé mais
Sco : à une semaine près (rires)
S : Ouais, à une semaine près. C’était quand même important pour moi d’être dans le coche. Et j’aime bien aussi ce délire parce qu’en fait amener cette musique à cette période de l’année, en réalité, cet album, c’est un album d’hiver-automne, tu vois, même si on est aujourd’hui en été.
Sco : En quoi il est hiver-automne ?
S : Bah Souffrance c’est de l’hiver-automne de toute façon. C’est bre-son, c’est cru, tu ne vas pas forcément danser. C’est pas un truc que tu vas mettre en soirée avec tes potes, même si sur cet album, il y a quand même des choses que tu peux mettre. D’habitude, tu ne t’ambiances pas en écoutant du Souffrance.
Sco : C’est pas ta démarche de toute façon.
S : C’est pas ma démarche parce que je ne suis pas un mec qui s’ambiance naturellement
Sco : Donc, c’est pas ce que tu cherches

S : Non, ce n’est pas ce que je cherche, mais j’ai quand même l’idée, j’ai fait des morceaux qui ambiancent avec l’EP Elephant, justement, parce que pour moi, c’est aussi important de s’ambiancer. Je ne vais pas dénigrer le truc d’ambiance. Mais c’est vrai que mon truc à moi, et ma sensibilité, c’est plutôt des choses assez sombres.
Sco : Et Hiver Automne, ça l’est, pour toi ?
S : Ouais, Hiver Automne reste sombre
Sco : Je ne trouve pas ça sombre. Je trouve ça brut. Sombre, ce n’est pas le terme qui me vient à l’esprit. Il y a de la sincérité, de l’authenticité, de l’instinct aussi, je trouve, qu’il y a beaucoup dedans. Mais c’est pas quelque chose qui donne envie de se pendre, loin de là, pour moi. T’es obligé de tendre l’oreille aussi. Tu parlais de tes punchs tout à l’heure, tu ne peux pas baisser l’oreille, parce que tu sais qu’il va toujours se passer quelque chose, y a pas un truc qui t’aplatit avec du sombre.
S : Sombre, ce n’est pas forcément l’envie de se pendre, mais c’est plutôt une ambiance cinématographique à la Gotham City, à la Blade Runner, à la Sin City. C’est un truc qui est dark. Ça reste dark et ça tape l’intérieur. C’est une musique d’intérieur, de soi.
Sco : C’est l’univers que tu avais en tête en écrivant, en construisant, cet album ?
S : Ouais, j’ai conçu cet album avec cet univers-là en tête, avec ces références-là, c’est ce dont j’avais envie, surtout pour l’aspect musical et aussi le style. J’ai travaillé avec Tha Gang, Jamal, sur le style, et ce sont des références que je lui ai amenées pour le style que j’allais porter sur ce projet.
Sco : Ça signifie encore quelque chose pour toi, être hip-hop ?
S : Je pense que le terme hip-hop, maintenant, est has been. Pour moi, ça signifie encore quelque chose, être hip-hop, mais aujourd’hui, quand tu dis être hip-hop, tu as l’impression que ça te ramène carrément à Sidney. Aujourd’hui, toutes les disciplines du hip-hop ont tellement pris leur essor qu’en réalité elles ne peuvent plus être englobées dans le terme hip-hop. Pour le graff, aujourd’hui, t’as des graffeurs qui gagnent des masses de thunes en vendant des toiles. Le rap, aujourd’hui, c’est devenu une économie à part entière. La danse est super en avant, quand tu vois TikTok, c’est une application de danse à la base. Aujourd’hui, il y a le DJing, qui est quand même la partie un peu, je dirais, faible. Enfin, pas faible, mais tu vois, la partie qui a le moins grossi, à mon sens, parce que je ne m’y connais pas des masses.
Sco : Si on parle de réussite, non, pas tant, parce que les DJs sont prisés dans les clubs, etc. Tu parlais d’économie, là, en termes d’oseille, eux aussi ont réussi
S : Donc le DJing aussi. Après, dans les clubs, j’ai l’impression que ce n’est pas forcément le DJ rap. J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de DJs vraiment rap.
Sco : C’est le fait que ce soit devenu une économie qui fait perdre un peu l’âme du mouvement ?
S : Oui, forcément. De toute façon, à partir du moment où il y a de l’argent, l’âme se perd. Même quand tu trouves un travail, tu vas perdre un peu ton âme. Ton patron va te dire de faire un truc et en réalité, des fois, c’est contre tes valeurs. Tu vois ce que je veux dire ? Donc, à partir du moment où l’argent entre en jeu, forcément, il y a des décisions que tu prends que tu n’aurais pas prises s’il n’y avait pas d’argent en jeu.
Sco : Et à l’heure où on prétend, malgré tout, que le hip-hop est la culture dominante, est-ce que le rap, finalement, c’est juste une musique ? Un divertissement ?
S : Non. Pour moi, le rap, ce ne sera jamais juste une musique et juste un divertissement, même si on colle le mot rap sur des musiques qui sont divertissantes.
Sco : C’est un problème de définition, alors ?
S : Ouais, c’est un problème de définition. Quand on parle de ça, ça me fait souvent penser à l’interview de Kassav, qui disait que le zouk s’est fait avoir sur la bataille du vocabulaire. C’est-à-dire qu’il y a des morceaux qui sont zouk, mais on ne les appelle pas zouk. Et en fait, ce que je pense, moi, c’est que le rap s’est fait avoir en sens inverse. Il y a des morceaux qui ne sont pas rap, mais on les appelle rap.
Sco : Comment t’expliques ça ?
S : c’est la musique qui vend le plus. Donc si tu marques, si tu estampilles « rap » une musique, tu sais que tu vas être plus mis en avant par les médias. Tu sais que tu vas être plus écouté, peut-être plus mis en avant par les plateformes. Voilà, c’est la musique qu’aujourd’hui tout le monde écoute.
Sco : Mais il y a aussi certains médias qui ont tendance à mettre ce tampon un peu sur tout le monde, même quand ça n’en est pas, ou alors le fameux “pop urbaine” aussi, tu vois ?
S : Ouais, bien sûr. en fait la base de tout ça, ça reste le rap. Les mecs, ils ont tous commencé par rapper. Je veux dire, un Jul, il sort un Tchikita, mais Jul, à la base, il rappe, et Tchikita c’est pas du rap. Mais Jul fait aussi du rap. Et à un moment donné, on catalogue les artistes. Donc, soit c’est un artiste afro, soit c’est un artiste rap, soit c’est un artiste qui fait de l’électro, j’en sais rien, tu vois. Mais aujourd’hui, les artistes font plusieurs styles de musique. Mais maintenant, c’est quoi le rap ? Est-ce que c’est le débit de paroles ? La façon de poser les paroles ? Ou est-ce que le rap, c’est l’instru derrière ? Si le rap, c’est la façon de poser des paroles, effectivement tu peux rapper sur de l’électro. Mais est-ce que, comme tu as rappé sur de l’électro, tu écoutes de l’électro ou tu écoutes du rap ? Donc, ça devient compliqué. Parce que le truc s’est tellement élargi…
Sco : Mais toi, comment tu définis ça ?
S : Je définis ça par des genres hybrides. En fait, il y a le rap classique. Aujourd’hui, le rap, c’est une musique qui a 50 piges. Et en fait, il y a le rap classique, qui est comme la musique classique, qui est la base de tout. Le 90 BPM, etc. Et encore, je dis ça, mais PUBLIC ENEMY était sûrement sur des instrus plus rapides que ça, dans mes souvenirs. Et ensuite, tu as plein de dérivés de rap. Tu as le rap plus électro, tu vas avoir le rap plus qui va vers je ne sais pas quoi, le rap afro, le rap afrobeat. Tout ça, c’est le rap qui, en vérité, a grossi, a fait des gosses.
Sco : Toi, t’as un côté tout terrain, justement, dans ces différents styles. Tu le prouves encore, dans Hiver Automne. Est-ce que ce côté tout terrain, c’est pour prouver, pour te prouver, pour percer ? Est-ce qu’il y a un calcul derrière ? C’est quoi l’idée d’être aussi hybride ?
S : L’idée d’être aussi hybride, il y a plusieurs trucs.
Sco : On s’entend sur le fait que t’excelles dans le boombap, t’excelles dans la trap, par exemple.
S : C’est gentil.
Sco : Il y a quelque chose de très facile. Tout le monde ne sait pas basculer de l’un à l’autre



S : La bascule, c’est vrai que certains artistes, sur la bascule, ont perdu beaucoup, sur cette bascule. Ce n’est pas une bascule évidente que de changer de style. Mais pour moi, c’est là la différence entre un artiste et un commerçant. C’est-à-dire que moi, au niveau de la création artistique, à un moment donné, j’ai fait 3 albums. Tranche de vie, Tour de magie, Eau de source, qui sont à forte dominante boombap, même s’il y a parfois des ovnis dedans et des morceaux de trap, mais quand même à forte dominante boombap. Et à un moment donné, quand on enchaîne autant, puisqu’entre mai 2021 et mars 2025, j’ai sorti 4 projets, j’ai besoin, pour la créativité, pour remettre de l’essence dans la machine, de tout détruire, de tout changer.
Sco : On sent ce virage dans Eau de source
S : Oui, oui. Dans Eau de source, tu le sens sur Khalass, tu le sens sur des morceaux comme Authentique, mais même les traps de Eau de source comme Authentique, qui est de la trap, il y a quand même un délire boombap marqué. Je ne sais pas comment te l’expliquer. Mais c’est comme ça. Après, t’as des Ciel gris kebab grill qui sont ultra boombap, mais trop, boombap à fond. Et le délire, c’est que, premièrement, pour nourrir ma créativité, je change tout et je ne repars pas sur un schéma que je connais. Deuxièmement, l’artiste, tu ne peux pas le mettre dans une case. Donc à un moment donné, je ne veux pas qu’on m’enferme dans la case boombap, je ne fais pas que du boombap. C’est quelque chose que j’affectionne, que j’ai fait, que je referai, mais je ne suis pas uniquement dans cette case. Ensuite, il y a un délire de challenge, c’est-à-dire que si t’as le niveau, pourquoi tu n’y arriverais pas ?
Sco : T’es un MC
S : Voilà. Et je me rappelle, déjà à l’époque, aux scènes ouvertes du Café La Pêche, quand Siaka arrivait, je montais sur scène, il te mettait n’importe quel instru, donc tu pouvais arriver à rapper sur n’importe quelle instru. Il y a aussi cette histoire de challenge. Et il y a aussi, effectivement, de se dire que pour le boombap, aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a un plafond de verre. Tu regardes les artistes boombap purs, il n’y en a pas qui dépassent le million d’auditeurs. Ça n’existe pas.
Sco : mais ça revient fort
S : En fait c’est jamais parti parce qu’il y a toujours un gars qui te sort un morceau boombap dans son album. Jul, tous ses albums, il y a du boombap dedans. Quand il revient avec Classico Organisé, le premier morceau qu’il sort, il y a Lacrim dedans, il y a plein de monde, c’est un morceau boombap classique, Mehsah à la prod. Donc voilà, après, le boombap s’actualise aussi. Il y a des groupes comme Griselda, aux Etats-Unis, qui ont mis une grosse actualisation au boombap. Ils ont changé, comme quoi tu peux aussi changer. Et aussi, il y a un autre souci du boombap, c’est une identité préconçue pour moi. C’est-à-dire qu’on te donne un package où, en réalité, c’est très difficile de pousser son identité musicale parce que le cadre est très cadré, en fait. Tu vois ce que je veux dire ? Alors que dans la trap, tu peux plus t’amuser avec les BPM, plus dans le son, et tu peux commencer à vraiment créer ta musique. Après, attention, il y en a qui arrivent à créer leur identité boombap, mais je trouve que je peux trouver plus de différences entre deux mecs qui trappent sur des instrus que deux mecs qui rappent boombap sur des instrus boombap. Tu vois ce que je veux dire ? Donc, j’ai l’impression que le boombap, pour se créer une réelle identité musicale, c’est un peu un truc où tu rentres dedans, tout est préfabriqué, tout a déjà été fait.
Sco : C’est pas que musical, il y a aussi le MC qui a son importance
S : Oui, il y a le MC
Sco : La signature vocale, la façon de poser qui fait que tu te différencies et que tu es un MC ou que tu n’es pas un MC. Je pense qu’il y a une différence entre savoir rapper et être un MC. C’est pas tout à fait la même chose. Il y a beaucoup de gens qui savent rapper.
S : Oui, aujourd’hui, de plus en plus de gens savent rapper, effectivement
Sco : Et tout le monde n’est pas un MC et tout le monde n’est pas forcément un bon rappeur
S : Je suis d’accord avec toi là-dessus
Sco : Actuellement, t’es en plein buzz, et t’as passé 35 ans
S : Je n’appelle pas ça le buzz, moi
Sco : disons que t’as une visibilité, un peu sur le tard par rapport à ton âge. Quelles sont les leçons à retenir, à l’ère où tout doit se faire en 5 minutes, à l’ère où, justement, on cherche le buzz en une vidéo sur TikTok ? Toi, tu débarques, tu as un gros vécu. Intime, et artistique. Et t’as cette visibilité maintenant, cette espèce d’assise qui se fait, le respect, on en parlait tout à l’heure, la reconnaissance des autres, etc. Quelles sont les leçons à en retenir ?
S : Déjà, je pense qu’aujourd’hui, l’idée du buzz en 5 minutes, c’est faux. Je pense que c’est quelque chose qu’on nous vend.
Sco : Ça arrive de temps en temps
S : C’est quelque chose qui peut arriver.
Sco : Une fois sur un million, mais on en fait une généralité.
S : Voilà, exactement. C’est quelque chose qui peut arriver. Franchement, bravo à ceux à qui ça arrive. Mais en réalité, ils ont eu de la chance. Pour moi, c’est juste une histoire de chance, carrément.
Sco : comme qui, par exemple ?
S : Je ne sais pas, moi. Born to be alive
Sco : Non, mais là, tu me parles d’un truc des années 70. Moi, je te parle d’à l’heure actuelle, de cette espèce de légende du buzz. Ni toi ni moi sommes capables de citer un nom d’un mec qui est issu de ça et qui a duré aussi, parce qu’il y a le côté éphémère du truc. Est-ce que ça dure ou pas ? Toi, durer, ça fait partie des objectifs ?
S : Moi, je suis déjà dans la durée. Je m’inscris dans la durée, quoi qu’il arrive. Et ça fait partie des objectifs. Mais en réalité, cet objectif, tu ne le tiens pas en te disant “je vais tenir sur la durée”. Tu le tiens en te disant je vais bosser fort, je vais bosser quotidiennement et je vais être constant. Voilà, en te mettant une discipline dans ta pratique. Tenir sur la durée, c’est aussi faire les bons choix. Tu peux travailler toute ta vie et ne pas tenir sur la durée. Il faut toujours arriver comme si c’était ton premier album. Parce qu’en fait, pour le premier album, t’arrives avec une recette dont les gens captent l’originalité et ils se disent “putain, c’est frais !”. Et donc à chaque projet, j’essaye d’arriver comme si c’était mon 1er album et j’essaye d’apporter une fraîcheur.
Sco : Une surprise
S : Ouais, et l’effet de surprise, c’est aussi prendre des risques. Parce que quand tu fais cet effet de surprise, ton public peut te dire “fréro, qu’est-ce que t’as foutu ? C’est quoi ce bordel ? Je ne comprends rien. T’as changé”. Après, pour ma part, le fil conducteur, ça reste l’écriture. L’important pour moi, c’est de garder les valeurs que t’avais au début. C’est-à-dire que si au début j’étais anticapitaliste et que tout d’un coup je te sors un son, “faut rouler en Porsche, faut machin, faut ceci”. Là, pour moi, dans cet exemple, tu n’as plus les mêmes valeurs. Tant que tes valeurs c’est les mêmes, en réalité la musique, ça reste de la forme. À mon sens, parce que tu peux parler à un musicien qui va te dire “non, dans la musique, le fond, c’est la musique. T’écoutes de la musique. Si le fond, c’est le texte, t’écris des livres.”. Donc voilà, c’est plein de débats assez compliqués.
Sco : En tout cas, il se passe des choses pour toi. Donc forcément, t’en arrives au stade où tu peux commencer à parler d’oseille, à faire avec le rap
S : tu sais, j’ai parlé d’oseille très rapidement
Sco : Ouais mais là, ça commence à s’intégrer. Aujourd’hui, t’es rappeur. C’est ce que tu fais.
S : Oui, aujourd’hui, je suis rappeur. C’est vrai que c’est fou parce que quand je bossais, je pensais que c’était impossible. Et c’est dingue comment le passage peut se faire sans que tu t’en rendes compte. Et ouais, c’est une dinguerie quand même.
Sco : Donc, il y a l’argent qui peut arriver petit à petit. On ne parle pas de somme là, mais l’argent, c’est aussi ce qui permet d’accéder à une forme de liberté. Et on sent que cette notion de liberté, qu’on peut ajouter aussi à un côté insoumis, je trouve, chez toi, c’est quelque chose qui compte énormément. Lequel motive le plus ce que tu fais, l’argent ou la liberté ?
S : La liberté, 40, 50 fois. L’argent, je m’en fous. En vérité, l’argent, je n’en ai rien à foutre. Après, ça me rappelle un documentaire que j’avais vu, un mec qui récoltait le miel des abeilles, je ne sais où, et qui disait “ les gens cherchent l’argent pour avoir la liberté. Moi, je suis allé direct à la liberté”. Après, bon, sa liberté, grimper des rochers pour récolter le miel des abeilles, c’est pas la mienne. Donc, oui, la liberté, ça dépasse 40 000 fois l’argent. Parce que, même si tu gagnes un million d’euros par mois, mais que t’es dans un taf où tu taffes comme un iench, tous les jours, t’es dans le speed, t’es stressé à fond, t’en as mal au ventre, t’es obligé de prendre des produits. Certains vont prendre des produits pour tenir le coup. Non, ça, pour moi, t’es un esclave bien payé.
Sco : Donc, la liberté ne va pas se trouver dans l’argent, elle va peut-être se trouver dans autre chose, qu’on a pu vivre pendant la période du confinement, à savoir : ce moment où on ne regardait plus l’heure, il n’y avait plus de notion de temps. Est-ce que c’est cette notion de temps qui amène à la liberté ?
S : Après, la notion de temps, tu l’as toujours, parce que le soleil se lève et se couche, donc il y a toujours le temps jour et nuit
Sco : sauf si tu te lèves à 15h (rires)
S : Ouais, avant je me levais à 15 heures. Dans mon texte, je dis “je me lève à 15 heures”.
Sco : Mais maintenant, tu t’es discipliné
S : Aujourd’hui, je ne peux pas me lever à 15 h, parce que dans un autre texte, avec Soprano, je dis “je me couche à 5, les petits me lèvent à 7”. Donc, en réalité, moi, dans mes textes, j’utilise vraiment tout mon vécu. Je peux rapper au présent. Je peux te parler de vente de drogue, alors que je n’ai pas vendu de drogue depuis maintenant 10 piges, et même, quelqu’un me demande un truc, j’ai envie de l’insulter carrément, parce que revenir sur cet état-là, je refuse. Donc, je peux te parler de bails de meufs, qui datent d’il y a 15 piges. Je veux dire, en fait, je ne veux pas me mettre de barrières. Déjà, ma barrière, c’est d’essayer de garder la sincérité. Si, en plus, dans cette sincérité, je m’impose une barrière de “si je ne le vis pas aujourd’hui, je n’en parle pas”, ça fait trop de barrières à la fin. Donc, je veux plutôt que la création soit un espace de liberté aussi. Donc, maintenant, dans Hiver Automne, je vais peut-être des fois encore plus loin. Et aujourd’hui, ça ne me dérange pas d’écrire des trucs que je n’ai pas forcément vécu, moi, mais que j’ai entendu par exemple. Et ça ne me dérangerait pas non plus de taper un storytelling, où je parle à la première personne d’un truc que je n’ai jamais vécu. Donc, aujourd’hui, je suis dans un délire où j’ai envie d’enlever les barrières artistiques, mais tout en gardant mon message. C’est-à-dire que ce n’est pas s’inventer une vie de bandit, pour moi, tu vois. Maintenant, si d’autres ont envie de le faire, ils peuvent se dire, moi, ma musique, c’est un film. Et c’est là où le rap a évolué de fou. C’est vraiment devenu un art. À l’époque, le rap, t’étais obligé de dire la vérité. Si t’étais un mytho, c’était fini pour toi. C’était fini. Et donc, ça veut dire que ce n’est pas un art, pour moi, quand t’es obligé de dire la vérité, c’est autre chose, parce qu’un peintre n’est pas obligé de peindre que des trucs qu’il a vécu ou vu. Il peut peindre des trucs qui n’ont rien à voir avec lui. Et c’est là où, pour moi, le rap, passe à un step artistique, en vrai.
Sco : Toujours pour rester sur la liberté, dans la vie d’artiste, est-ce que c’est aussi, du coup, ne pas être soumis à certaines règles de la société ? Sortir un peu de ce système. Parce que t’y es allé, dans le système, tu connais aussi.
S : Ouais, j’y suis allé. Et c’est important pour moi d’être en dehors du système en tant qu’artiste parce que le système, au bout d’un moment, formate ta pensée, quoi qu’il arrive. Et même en étant artiste, au bout d’un moment, ça peut aussi formater ta pensée. Mais en tant qu’artiste moins, parce que toi, t’as cette vision de l’extérieur. Et des fois, t’es comme un papou. Tu vois, un papou qui arrive en France, il va voir des trucs et il va te sortir des trucs que toi, jamais, tu n’aurais pensé. Et peut-être qu’il a grave raison dans ce qu’il dit. Je ne peux pas te donner d’exemple particulier, mais en tout cas, c’est important d’être en dehors du système. Mais en faisant de la musique, tu rentres dans un autre système. Tu vois, si tu veux être en dehors du système vraiment aujourd’hui, à part être multimillionnaire, acheter une île et couper tous tes réseaux, ou être ultra-pauvre et être en mode je m’en bats les couilles de tout, je ne sais pas comment tu sors du système. Donc moi, je suis sorti d’un système pour entrer dans un système qui me convenait plus. Donc aujourd’hui, le système du rap, c’est : si t’as pas fait un double de platine, il faut que tu sortes des trucs tous les ans. Donc en fait, tu as cette liberté, mais tu as une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le jour où tu t’arrêtes, c’est fini. Si ton prochain projet s’éclate au sol, peut-être qu’il va falloir que tu retournes travailler et revenir dans ce système qui te déplaisait.
Sco : Et est-ce que gratter le chômage, parce que c’est arrivé aussi…
S : Alors pour moi, tu ne grattes pas le chômage, c’est un droit. Non, c’est un mauvais mot, gratter, c’est un droit. Tu as travaillé, tu as cotisé, on te donne ton chômage. Et c’est ce qui permet…
Sco : C’est ce que je veux dire par gratter, c’est le recevoir.
S : Non, mais pour moi, gratter, ça veut dire que tu as gratté.
Sco : T’as raison de recadrer le mot. Alors est-ce que recevoir le chômage, tout en gardant une posture de liberté, c’est une façon de jouer avec le système, ou alors c’est une contradiction aussi ?
S : Non, pas du tout. Pour moi, le chômage sert à ça. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, si tes parents ne sont pas riches, si tu n’as pas de revenus, comment tu fais ? Parce que quand t’es rappeur aujourd’hui, t’es aussi entrepreneur, mis à part quand t’as trouvé une maison de disques, mais la plupart des rappeurs…Moi, je suis dans l’indépendance. Donc nous, on est des entrepreneurs aussi. Quand t’es entrepreneur, le chômage te permet de monter ton entreprise. Donc tu ne grattes pas le chômage, tu utilises le chômage pour mener un projet qui va peut-être, si tu y arrives, déjà t’offrir un travail à toi, un salaire, tu payes des impôts, et ensuite faire travailler d’autres gens. Donc le chômage en France, c’est le système qui permet à un mec qui n’est pas d’un niveau social élevé, qui n’a pas forcément d’argent, mais qui s’est cassé le cul parce que déjà, il est allé travailler, tu ne vas pas travailler tu n’as pas le chômage. Il a cotisé. Et là, on lui dit, tu as cotisé, tu as droit à ça. Maintenant, grâce à ça, tu as un an et demi aujourd’hui, avant t’avais deux piges, t’as un an et demi pour monter ton projet. Donc pour moi, le chômage sert à ça. Et c’est important de le garder en France parce que sans ça, comment un pauvre peut créer son projet ? Ce n’est pas possible parce que tu dois ramener à bouffer. Donc le chômage, c’est un peu une bulle d’air qui te permet de sortir du système de l’esclavagisme. Carrément, quand tu n’as pas de diplôme, il n’y a rien, c’est de l’esclavagisme.
Sco : OK, et donc il y a l’aspect que tu assumes, parce que tu en parlais déjà dans les textes, le fait qu’il faut aussi pouvoir tendre vers l’argent, qu’on ne peut pas toujours être un troubadour pauvre.
S : Ouais. Je viens de banlieue, je viens de la cité. À la cité, c’est un système capitaliste. Celui qui gagne le plus d’argent est mieux que les autres, c’est lui l’exemple. Il faut sortir des voitures, il faut sortir de la sape. Moi, je ne viens pas d’une ZAD, t’as capté ? Donc maintenant, l’argent, j’y pense depuis que j’ai 15 ans. Moi, je voyais mon daron écrire des lettres pour justement qu’on lui enlève des dettes. Il était tout le temps au téléphone. Donc l’argent, c’est un traumatisme pour moi. C’est carrément un traumatisme.
Sco : Et c’est légitime d’en vouloir
S : Mais c’est pas que c’est légitime d’en vouloir, on est dans une société où on t’explique que si tu n’as pas d’argent, tu es mort. Donc ce n’est pas que c’est légitime, c’est que c’est toute la société qui nous oblige.
Sco : En France, c’est un sujet tabou, et tout le monde n’assume pas ça.
S : Mais la société, elle s’américanise. Et puis, 113, pour moi, ils parlaient d’oseille, des fois. Booba parlait souvent d’oseille “6 millions de dollars ou de francs, je m’en fous pour être franc”, donc l’argent, en tout cas, dans le rap de cité, à mon sens, il a toujours été là, parce qu’on a tous été en manque d’argent. Et l’argent, aujourd’hui, c’est carrément une drogue. Sauf que c’est le dealer qui choisit si tu as le droit d’accéder à ça, à ça, à ça. Donc oui, l’argent, c’est important. Mais attention, pour moi, il faut toujours que l’artistique ne soit pas pollué par ce truc d’argent. Et l’artistique, il faut le mettre sur un piédestal. Et la musique ne doit pas être polluée par l’argent. Donc quand je crée, je ne me dis pas “je vais écrire pour gagner de l’argent”. J’écris pour toucher les gens. J’écris, je veux créer de l’émotion chez les gens, soit un sourire sur une punch, soit de la nostalgie, soit de la mélancolie.
Sco : Y a pas de calcul dans ce que tu fais
S : Alors, il y a du calcul, parce que c’est ce qu’on appelle le rap game. Il y a du calcul, parce que j’ai envie, moi, d’innover. Et d’y arriver, parce que, si tu regardes, tous ceux qui ont réussi dans le rap ont innové.
Sco : Là, tu me parles d’artistique
S : Oui, mais l’artistique, l’innovation, c’est de l’artistique.
Sco : Je parlais plus de l’aspect business, du calcul pour faire de l’oseille. Parce qu’il y a chez toi un côté très instinctif et authentique
S : Ça, je ne fais pas exprès, mais en tout cas, tu essayes de faire en sorte que l’argent ne pollue pas ton artistique, mais l’artistique, quand tu le fais, t’es dans un milieu où il y a plein d’artistes. Tu peux le comparer à un marché. T’es sur un marché, les entreprises vont te dire : il faut innover. Si demain une entreprise te ramène une nouvelle technologie…PNL, ils ont innové. Ils sont arrivés, ils ont fait une musique que personne ne connaissait. En tout cas, moi, je n’avais jamais entendu du PNL avant PNL. Je n’avais jamais entendu du Jul avant Jul. Booba, Temps mort, on n’avait jamais entendu ça avant Temps mort. Donc à un moment donné, en tant qu’artiste, tu dois innover. Et tu peux innover et te foirer complètement. Ça ne te garantit pas le succès. En tout cas, je suis dans une recherche artistique. J’essaye d’innover. J’essaye de faire de l’innovation avec ce que je suis, moi.
Sco : Pour te démarquer ?
S : Oui, pour me démarquer. Parce que pour moi, ce qui rapporte de l’argent, c’est l’artistique. Ce qui rapporte de l’argent, c’est que artistiquement, t’as sorti un truc de ouf. Donc faire de l’argent avec de la merde, je n’y crois pas. Tu vois, je n’y crois pas. Pour moi, soit t’as un producteur de fou derrière toi, je n’en sais rien, mais moi, je n’y crois pas. Ou sinon, il faut avoir des grosses machines et faire des gros investissements. Mais quand tu n’as peu d’argent à investir, ça reste ta musique, comme dit Alpha Wann, “qualité en guise de promo”. Cette phrase, elle frappe. Et c’est vrai qu’avec la qualité, forcément, tu touches des gens.
Et aussi, le rap, on en écoute beaucoup aujourd’hui, on en écoute masse, le public a une oreille qui est beaucoup plus affûtée sur le rap. Il va beaucoup plus capter les niveaux, ton niveau d’écriture. Quand Limsa D’Aulnay arrive, le niveau d’écriture, c’est une dinguerie. Tout le monde écoute et tout le monde se dit “mais comment est-ce que…ses rimes, ses machins”
Sco : Comme avec toi
S : Après, moi, j’essaie d’apporter un univers. Je pourrais pas me définir. C’est difficile de se définir soi-même
Sco : C’est ce que j’essaye de faire en mettant des mots comme authenticité, sincérité, instinct. J’ai l’impression que t’as aussi un côté fataliste, ou peut-être résigné, mais pas au mauvais sens du terme. Plus un côté “les choses sont comme elles sont. On s’adapte. On avance”. Tu as ce côté-là aussi
S : Oui, bien sûr. Moi, j’appelle ça un côté réaliste. Donc après, ça, c’est peut-être aussi un mauvais côté parce qu’en réalité, les choses peuvent changer et on doit pas tout le temps s’adapter. Moi, j’ai un vécu qui fait que j’ai dû m’adapter à plein de choses. Donc je suis dans l’adaptation. Mais des fois, en réalité, le mieux, c’est de tout renverser et de dire, nique ta mère, je m’adapte pas. C’est sûrement ça, le mieux, parfois. Mais aujourd’hui…Ouais, faut s’adapter. T’as pas le choix. C’est Rim’k qui disait “On s’adapte à cette putain d’époque”. Voilà, on s’adapte à cette putain d’époque
Sco : L’écriture, c’est une chose sur laquelle tu ne vas jamais transiger ? Tu pourras pas te laisser aller à quelque chose de plus léger parce qu’il y a une direction ?
S : Si ! sur un morceau. Si, si. Je peux me laisser aller sur un morceau plus cool, je peux me laisser aller, mais je considère qu’en tant qu’artiste, on fait une œuvre qui va rester dans le temps.
Sco : C’est l’un des buts, dans ce que tu fais ? Tu te dis ça, tu te projettes sur ça ?
S : Ouais, ouais, ouais. J’espère que mon blaze, que Souffrance, ce sera un blaze quand on parlera quand on parlera du rap français. J’ai envie d’apporter à cette culture. Donc ça, c’est aussi une reconnaissance, quand tes morceaux traversent le temps, mais longtemps, et aujourd’hui, c’est très difficile de faire ça.
Sco : J’aimerais que tu me parles un peu des personnes qui ont collaboré dans cet album. Donc, il y a Jewel Usain, Chilly Gonzales, Soprano, Isha…Tu parlais aussi de Tony Toxic tout à l’heure. Si tu pouvais dire un petit mot sur les différentes collaborations. Celle qui m’a le plus étonné, mais je pense qui va étonner les gens en général, c’est avec Chilly. Comment ça s’est fait, ce truc ?
S : En fait, Chilly, c’est un passionné de rap. Et il comprend le rap. Donc voilà.
Sco : Grand pianiste
S : Ouais, très grand pianiste. Il a sorti l’album Solo Piano, qui est un classique du piano. Tout le monde a déjà entendu un morceau de Chilly. Même si tu ne sais pas que c’est lui qui l’a fait, tu l’as déjà entendu, c’est sûr à 100%. Donc le mec, il a tout bousillé dans le piano. Il a innové. C’était Sofiane Pamart avant Sofiane Pamart, Chilly Gonzales. Donc on revient sur l’innovation. Donc, un mec monstrueux, et en fait, Chilly, je l’avais déjà vu dans des bails rap, mais par les réseaux. Je l’avais vu sur un Grünt, il avait invité Le Juiice, La Rumeur…Donc déjà, je voyais qu’il avait des accointances avec le rap. Et ce qui se passe, c’est que Chilly écoute Eau de source et il envoie à MAX KDCH, qui est le pianiste qui a fait le piano sur le morceau Score, un message en lui disant « le piano sur Score, c’est une dinguerie ».
Sco : Spontanément ? C’est lui qui prend l’initiative ?
S : Oui, spontanément. Il prend l’initiative et il fait le bail. Et après ça, on est amené à échanger, lui et moi. Et en fait, il croit que je l’invite, et moi, je crois que lui m’invite. Et on se retrouve. Donc on est allé au studio et il y a MAX KDCH qui nous dit « non, mais venez chez moi , j’ai un piano, j’en ai même deux, donc venez chez moi. ». Et là, Max pète un barbecue, en hiver, en janvier, il fait barbecue. D’où le titre du morceau Barbecue en hiver. Et là, ils font plein d’instrus à quatre mains. Et MAX KDCH kiffe de fou, parce qu’en tant que pianiste, malgré qu’il a un talent incroyable, il n’est pas encore reconnu. Tu vois ?
Sco : Et il a Chilly chez lui
S : Et c’est là où tu vois la passion. Des fois, tu vas te dire, même dans le rap “ ouais, lui, il va refuser le featuring. Regarde où il est, regarde où je suis”. Tu vois ? Comme un Vald, comme un ZKR. C’est ces mecs-là qui m’ont montré que la passion, dans le rap, est là. Les mecs ne sont pas business. Parce que si tu es business, tu ne fais pas un feat avec Souffrance. Tu vois ? Donc tu fais un feat avec moi parce que tu as kiffé ce que je faisais, et ça c’est énorme. Et Chilly, c’est la même chose avec Max. Max, il avait 150 auditeurs. Chilly en a 700 000. Le mec, il vient d’en haut,et il descend, comme ça ? Il vient chez toi ? Dans le 93 ?
Sco : Faire de la musique
S : Ouais, faire de la musique, et kiffer, et là tu vois qu’on se comprend, tu vois qu’il sort des instrus de ouf. Et il fait quoi ? Il sort une clé USB, il la donne à Tony. Il nous donne la clé USB, et il dit “là, j’ai des compos. Tu fais ce que tu veux avec.” Donc, déjà, Chilly Gonzales, malgré ce personnage de ouf, parce que c’est un fou furieux, tu vois, il est en peignoir, chaussons, c’est un bordel, Chilly Gonzales, un sacré bordel. Donc, ce mec-là arrive, il sort de la musique, c’est v’là le machin dans le piano, v’là le machin au niveau de la musique, il sort de la musique et il dit “tu fais ce que tu veux”. C’est-à-dire que si on veut, on pète un reverse. Si on veut, on lui déchire sa note en plein milieu. Donc, il n’a pas l’ego de dire “ouais, non, ce truc-là, il faut le laisser exactement tel quel.”
Sco : Il fait confiance aussi. Et donc, il donne la clé USB, il ferme la porte, tu es avec Tony, et vous vous dites quoi ?
S : Je suis avec Tony. Donc déjà, il a fait des instrus avec Max. Quand je suis chez Max, il a fait des instrus. Donc, on a des riffs de piano qu’ils ont fait ensemble. Il nous donne une clé USB, et là, Tony fait sa sauce, et il utilise les compos de Chilly comme des samples qu’il aurait pris sur des vinyles. Mais sauf que c’est des compos, et ça ça change tout. Enfin, ça change énormément. Et le truc, c’est que Chilly, dans sa manière de faire du piano, comme il comprend le rap, il fait du piano qui s’intègre tout de suite. Il comprend le rap ! Tu peux appeler 40 pianistes, je te jure, tu peux faire des instrus toute la journée, il n’y aura que de la merde parce que le pianiste, il est dans ses trucs de pianiste et qu’il ne capte pas l’essence du rap. Or Chilly c’est un passionné.
Donc ensuite, il m’a invité au festival We love Green. On a rappé. J’ai rappé sur un truc qu’il faisait. Et ensuite, il nous a ressorti une 2ème clé USB. Puis, il est venu au studio 5-6 fois, or le mec est dans des tournées, entre Cologne, le Canada, c’est un bousillé, tu vois ? Un bousillé de musique. Et il revient au studio et à chaque fois, on lui refaisait écouter. Il disait “attends, sur ce morceau, Puissance en bars, il faut que je joue avec un vrai orgue.” Donc il part taper un coup d’orgue et il le rajoute dans le morceau. Et sur plein de morceaux comme ça, sur Tango aussi, il a apporté.
Sco : Et il prend le temps
S : Oui, il prend le temps
Sco : Et à aucun moment, il n’est question de contrat, de business, de parts ?
S : Non, non, non. Après, ce qui est important quand tu es indépendant, c’est de se constituer une équipe. Pour moi, un artiste ne parle pas business avec un autre artiste. Après, ça, c’est à mon sens, et tu dois avoir des personnes qui doivent parler business entre elles. C’est important d’avoir des gens qui parlent business parce que des fois, tu es dans une super ambiance et tout d’un coup, tu captes qu’on n’était pas du tout dans la même ambiance. Là, on a eu de la chance avec Chilly, ça s’est très bien passé, mais il peut y avoir des désaccords. Donc, c’est important quand même de parler business, mais quand tu es artiste, tu ne dois pas avoir les pieds sur terre. Tu ne dois pas te rapprocher de ces trucs. L’argent, c’est sale en vrai. Il ne faut pas parler des choses sales. Il faut rester dans des bails créatifs, il faut rester dans la création
Sco : Ce qui s’est passé aussi avec Isha, Jewel Usain, Soprano, qui apparaissent dans l’album aussi ?
S : Pareil, Soprano, c’est un monstre, il m’invite à son Planète Rap. Je lâche un freestyle, et on discute après. Pendant la discussion, je capte qu’il serait chaud pour poser avec moi sur un morceau. Là, je lui demande de continuer le couplet que j’ai fait à son Planète Rap, qui est du kickage pur. Donc, je ne sais pas s’il va accepter ou pas.
Mais il accepte, il me dit qu’il est OK. Et à partir du moment où il me dit qu’il est OK, je me dis “c’est bon, je vais avoir Soprano sur du kickage pur”, parce que par rapport à ce que je lui ai envoyé, tu n’as pas d’autre choix que de faire du kickage pur. Et il m’envoie un couplet de fou furieux. Et quand je reçois le couplet, je dis “putain de cadeau”, c’est le dernier morceau qu’on met dans l’album, qui était quasiment bouclé. C’est le feat qui arrive du ciel. C’est lui qui m’invite, et ça termine dans l’album, c’est incroyable.
Isha, ça fait longtemps que je voulais faire un morceau avec lui. Ça fait très, très longtemps qu’on se croise. Je l’ai connu vraiment à partir de Labrador Bleu. Je n’avais pas capté les La vie augmente Vol.1, Vol.2, Vol.3. Je n’avais pas capté ça. Et après, j’ai commencé à écouter ce qu’il faisait. On s’est rencontrés aussi. J’ai regardé ses interviews. Je regarde beaucoup les interviews. Et humainement, en plus on est de la même génération, je sentais que c’est un bon gars. Et en fait, il a l’âme du rap. Et dans ses textes, il t’amène des images. Il a une poésie de ouf. Donc, Isha, c’est un mec avec qui je voulais faire un truc. Donc, je lui ai proposé de poser sur cet album. Il a accepté. J’étais très content.
Jewel Usain, lui, je l’ai croisé sur un concert de Scylla, où Scylla nous avait invités tous les deux pour partager un de ses morceaux sur scène. Donc, on devait faire tous les deux un douze mesures. Et, dans la journée, Scylla nous dit “on accélère le morceau de 5 BPM”. “ouais, on peut avoir l’instru pour s’entraîner ?” “non, il n’y aura pas l’instru. C’est avec les zikos.” Donc, déjà, on était dans un délire où vas-y, il fallait se caler, il nous a mis quand même un petit challenge. Et moi, il fallait que je rentre derrière Jewel sans que je capte quand finissait son couplet, que j’arrive à le capter sur l’Olympia, alors que c’était la première fois qu’on le faisait. C’était un bordel. Franchement, ça se passe super et tout. Et puis, en discutant avec Jewel, pareil, super bon gars. Et lui aussi, pour moi, il a l’âme du rap. Il a une vraie âme.
Sco : et c’est un vrai mec
S : Ouais, pareil, humainement. De toute façon, tous les gens que j’ai rencontrés jusqu’ici, humainement, franchement, en tout cas sur Eau de source et Hiver Automne, franchement, lourd de fou. Ensuite, Jewel, je voulais faire un morceau avec lui. Même techniquement, il envoie. Donc, je lui propose. Il me dit que c’est OK. On fait le morceau un peu plus tard. On se croise en studio. Il vient, on fait ça. Isha, on l’a fait à distance, il était en Belgique, moi, j’étais pas mal en déplacement.
Après, y a Tony Toxic, c’est mon associé de toujours. Comme je te l’ai dit au début, il fait des réalisations artistiques, de la direction artistique avec moi sur les projets. Et comme il le disait à un moment, à la Nocturne, à chaque début de projet, je le vire. À chaque début de projet, je lui dis “fréro, faut que t’arrêtes de faire les prods. Faut qu’on change tout. Faut qu’on casse tout.” Et à chaque fois, ça l’énerve. Et à chaque fois, il casse tout lui-même, et il change toutes ses prods lui-même. Parce que moi, je suis dans le délire où il faut tout détruire. De toute façon, j’ai toujours tout détruit. Même dans les jeux vidéos, je recommence avant d’arriver à la fin, parce que le début c’est le meilleur en vrai. Le début, c’est le meilleur. Donc, voilà.
Et après, il y a MAX KDCH, pianiste qui est avec nous maintenant vraiment énormément
Sco : Mani Deiz aussi
S : Mani Deiz qui est sur deux prods. Puis Stab. Gros beatmaker, qui prod pour des Allemands aussi, qui tape des disques d’or en Allemagne, des dingueries. Donc, un streu-mon. Et Kali Kali ! Il a fait la prod du morceau avec Isha, et c’est lui qui avait fait toutes les prods de Éléphant. Puis y a Soul Intellect, B2ny, Yannick Hiwat. En fait, Tony, à chaque fois, je le re-challenge. À chaque fois, et petit à petit, il s’ouvre. Et on travaille avec d’autres gens. C’est important d’amener d’autres gens, d’autres façons de penser, d’autres façons de faire, d’autres processus, tout le temps, tout le temps, tout le temps
Sco : Et tout ça a amené un album très très lourd, Hiver Automne
S : Ouais, moi je le trouve lourd
Sco : Et t’as raison, parce que c’est vraiment le cas. Tu pars donc sur les routes avec cet album. Et ça va te conduire, jusqu’à l’Olympia, qui est calé.
S : Ouais, voilà, le 20 mai 2025
Sco : Et puis, je te remercie d’être venu, d’avoir pris le temps de discuter
S : Je t’en prie
Sco : Et on va continuer à suivre le parcours
S : Yes, merci !
Sco : Merci beaucoup.
S : Merci à toi, Scolti. Lourd
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