Scolti : Salut à tous les trois, bienvenue chez SKUUURT ! On est ravi de vous accueillir aujourd’hui à l’hôtel Monsieur Aristide, dans un cadre très sympa, avant les représentations du spectacle La Haine au Zénith de Lille les 6 et 7 juin. On a donc en face de nous Vince, Saïd, Hubert, a.k.a Alexander Ferrario, Samy Belkessa et Alivor. Alors ça c’est le premier truc qui change par rapport au film culte, les protagonistes, et on va vous épargner toute comparaison avec le film tout au long de cette rencontre, tout d’abord parce que la proposition hybride de ce spectacle, que j’ai vu, est tout à fait novatrice…
Dan : …Et j’aimerais bien savoir en quoi d’ailleurs puisque moi, à la différence de Scolti, j’ai pas encore vu le spectacle. Donc en quoi est-ce que c’est différent et novateur ?
Alexander Ferrario : Il y a des actualités, ou le côté futuriste, parce qu’il y a une voiture qui parle, ou encore au lieu de faire devant le miroir le “c’est à moi qu’tu parles ?” je le fais devant un iPhone. Des petits détails comme ça qui sont au goût du jour, aussi dans le langage.
Samy Belkessa : dans les dialogues, ouais
A.F : Serge Denoncourt et Mathieu Kassovitz nous ont fait un travail de table dans lequel on devait réadapter le scénario avec le langage d’aujourd’hui. Donc on a eu la liberté de parler librement en improvisation, et ensuite on a écrit. Évidemment toujours en gardant les répliques du scénario mais avec nos mots à nous.
S.B : Et on est sur scène, c’est La Haine sur scène, c’est LE truc qui change, et puis il y a beaucoup plus de musique. Il y a de la danse. On a mélangé le rap et le chant aussi. Et il y a de nouveaux personnages, il y a des filles maintenant, il y a plein de trucs qui ont été mis à jour, comparé au film.
Sco : C’est marrant parce que je vois aussi d’autres aspects. J’ai pris une claque notamment avec l’écran géant, avec la cité qui a été complètement numérisée et qui permet des effets de caméras jamais vus, pour moi, sur scène. Donc le côté très immersif du spectateur qui a l’impression d’être à l’intérieur d’un film. C’est ce que j’ai trouvé personnellement très novateur. Les effets de tapis roulant aussi, qui permettent de faire dérouler le paysage. L’immersion de certains acteurs ou danseurs parmi les spectateurs qui donne toujours cette impression de nous plonger au cœur du film. Ça c’est tous les effets de novateur. Les effets de caméras aussi qui sont combinés à l’écran et qui permettent aussi encore une fois de se retrouver plus ou moins à l’intérieur du film. Alors qu’on nous annonce au départ une comédie musicale.
Dan : Et c’est vrai qu’on a des clichés autour de ce que peut être une comédie musicale. Mais pour le coup Mathieu Kassovitz préfère ce terme, sans ambiguïté. Il repousse les nouvelles appellations. Il dit juste qu’il ne fait pas une comédie musicale ringarde. Quand on vous a dit “comédie musicale”, est-ce que vous n’avez pas eu un peu peur ?
S.B : Complètement ! (rires) Au début je pensais que c’était le truc avec les plumes et tous les trucs
Dan : Genre cabaret !
S.B : Un petit peu, mais…non, c’est La Haine !
Alivor : Moi j’étais réticent au départ, quand on m’a dit “La Haine, comédie musicale”. Je n’étais pas intéressé par la comédie musicale, mais par La Haine. Mais quand j’ai su qu’il y avait du rap, entre autres, je me suis dit “allez, pourquoi pas !”. Je suis parti vraiment au casting juste pour voir. Mais après, à la longue, quand j’ai vu qu’il y avait Mathieu Kassovitz, Serge Denoncourt, Yaman Okur, Émilie Capel, les chorégraphes, quand j’ai vu l’équipe, notamment Proof qui est directeur musical. Ça m’a donné envie, je me suis dit que la rue aussi pouvait se réapproprier les choses, comme le cinéma il y a 30 ans. La Haine c’était un film dans lequel c’était la première fois qu’on voyait des mecs de cité. Et donc si on ne va pas vers les choses, ça sera fait à notre place et on sera les premiers à se plaindre derrière.
A.F : Ouais c’est ça parce que finalement si on reste fidèle à nous-mêmes, et si on reste vrai dans notre propos, dans comment on s’exprime et dans ce qu’on exprime, pourquoi est-ce qu’on n’irait pas vers la comédie musicale, Broadway, ou des formats dans lequel on n’a pas l’habitude de voir ça ? Le problème c’est qu’on commercialise ça
Sco : Le problème c’est aussi l’a priori un peu ringard qu’on peut avoir de la comédie musicale, quand on n’est pas client de ça, personnellement je ne le suis pas par exemple, et je me déplace parce que c’est La Haine.
S.B : Mais y en a beaucoup comme ça
Sco : Et finalement une fois là-bas, je me dis que je n’ai jamais vu ça nulle part. Et maintenant je sais ce qui va être copié. Ce qui va être copié c’est La Haine. Cette proposition de comédie musicale, même si Mathieu Kassovitz tient à ce que le terme soit gardé, me donne l’impression que c’est quelque chose de complètement différent
A.F : Je pense que ce qui fait peur aussi, c’est qu’une énorme part de l’identité de la rue est dans la forme. Elle est dans les codes. Elle est dans ce qu’on voit, comment on s’exprime. Du coup changer ces codes là, les codes esthétiques, les codes visuels, ça peut faire peur. Si on parle d’un… je ne sais pas moi, un cabinet d’avocat, on peut le faire en chantant, ça ne dérange pas plus que ça parce que l’identité d’un cabinet d’avocat est plus dans le fond et dans ce qu’on défend etc. La rue doit se sentir identifiée et représentée quand on est sur scène. Et je pense qu’on le fait, vraiment.
S.B : il est bon hein ! (rires)
Dan : Mais si la proposition était venue de quelqu’un d’autre que Mathieu Kassovitz, est-ce que vous y seriez allé ?
S.B : Mais une comédie musicale sur la rue aussi ?
Dan : Ouais, La Haine, mais fait par quelqu’un d’autre que Mathieu Kassovitz.
A.F : On aurait dû voir bien le scénar
S.B : Ouais, ouais, ouais. Moi je pense que c’était important
A : Je serais venu pour Proof, en tout cas pour le côté musical, mais pour le reste…
S.B : Moi je pense que c’était important que ce soit Mathieu. Au début quand le producteur, Farid BenLagha a eu cette idée, il en a parlé à Mathieu, et Mathieu a dit “c’est une putain d’idée, je suis chaud mais je veux le faire, je veux être dedans” et il a eu raison
A : C’est son bébé à lui, il sait mieux que personne
S.B : Donc je pense qu’on est obligé d’avoir la patte de Mathieu
A : La crédibilité est importante, de par Mathieu, et par nous aussi. Si on a voulu aussi faire le rôle, c’est qu’on voulait mettre une crédibilité. Et encore une fois, se réapproprier la chose et montrer qu’on est capables aussi de pouvoir faire une bonne comédie musicale. Au départ je me rappelle quand on m’a parlé du projet on disait “La Haine sur scène”. Ça disait pas trop le terme “comédie musicale”. Je pense que même Mathieu au départ il en a dit “La Haine sur scène en live”. Mais au final c’est bien de dire “comédie musicale” et de montrer que nous aussi on peut faire ça, c’est bien. Et ça ouvre aussi la culture et la perspective en France parce qu’aux États-Unis c’est différent. Aux États-Unis il y a des comédies musicales qui sont engagées, qui traitent de sujets importants
Sco : C’est plus culturel aussi
A : Voilà. Et ça met aussi un nouveau pas pour la culture, ça la grandit, pour ceux qui viennent nous voir.
Sco : L’une des diffs avec le film c’est que les scènes sont complétées par des morceaux, on est dans la comédie musicale, forcément, sur lesquels vous rappez, tous les trois. Est-ce que ça vous a mis une pression supplémentaire ?
A : Moi c’est mon domaine de prédilection, donc la pression était plus dans la comédie, en tant que comédien. Pour le rap, de base, je suis rappeur, donc c’était vraiment là où je voulais montrer que j’étais à ma place. Donc au niveau de pression : la pression de bien-faire, pour ma part, pas de rapper. Et d’autant plus qu’il y a des morceaux qui sont écrits par des artistes qui sont chers à mes yeux, comme Medine. Donc interpréter ces morceaux là, il faut bien le faire. Donc la pression était vraiment dans l’exigence de bien faire les choses pour ma part. Mais sinon j’ai plus une pression en tant que comédien, mais entouré de ces bons acteurs ! La misère était cachée
S.B : Il y avait une petite pression quand même ! On a tous un peu rappé avec nos potes. Là tu rappes devant 4000 personnes. C’est pas pareil. La première on a rappé devant Youssoupha, Tunisiano, Medine, et tout le monde. Donc oui, t’as une petite pression
A.F : Camila (Halima Filali) qui chante devant Vitaa !
S.B : Il y avait une petite pression (rires). Et puis on a les textes pour, même si tu sais pas rapper, parce qu’ils ont écrit, tu peux que interpréter, que le sentir, que…
A : L’incarner
A.F : Comme dit Serge, on n’arrête pas d’être des acteurs quand on commence à rapper. C’est pas “on devient des rappeurs”. Et peut-être qu’il y avait un petit challenge par rapport à ce que t’avais l’habitude de faire, parce que tu étais toujours dans une image d’une identité de rappeur. Et là en fait ça reste Hubert qui rappe, ça reste Saïd, ça reste Vince qui rappe. Donc dans l’émotionnel, dans l’acting, il faut qu’on le voit aussi pendant un rap. Il y avait beaucoup d’indications
Sco : C’est ça la bascule ? C’est de se dire qu’en fait c’est le personnage qui rappe, c’est pas vous qui rappez
S.B : Comme c’est le personnage qui joue, c’est pas…
A.F : On est tellement dans le personnage à ce moment-là
S.B : Pendant 2 heures, t’es Vince, Saïd et Hubert
A : Et puis on a mis un peu de nous dans les personnages, donc en final c’est aussi nous qui rappons. Moi ce projet-là je l’ai fait parce qu’il est aussi cher de par ce qu’il représente. Donc quand je suis sur scène en tant qu’Hubert, je suis aussi sur scène avec ma propre personne. Et Mathieu aussi nous a dit, voilà, Hubert, Saïd et Vince porteraient vos prénoms si c’était vous les premiers à l’époque. Si ils s’appellent Hubert, Saïd et Vince, c’est parce qu’ils s’appelaient comme ça. Donc il a dit “aujourd’hui c’est vous, mais avec leur ADN”. Et puis s’il nous a pris, c’est parce qu’on a aussi leur ADN. Donc moi je joue Hubert, mais je pense aussi ce que je joue d’Hubert. Bon peut-être pas tout. J’ai pas envie de taper Samy tous les jours (rires)
A.F : Moi je n’ai pas envie de tuer un flic. Je veux dire, tranquille (rires)

Sco : On va voir ça après (rires). Et au niveau de la forme toujours, vous êtes trois devant nous, les trois protagonistes, c’est vous qu’on reçoit, c’est vous sur les différents plateaux, mais en fait il y a beaucoup plus de monde que ça. À l’inverse du film, la sensation que j’ai eu en voyant le spectacle, je vous vois comme les protagonistes, mais je vois l’ensemble. J’ai l’impression qu’il y a des second rôles qui n’en sont pas, finalement qui sont des rôles tout court. Vous voyez un peu comme ça aussi ?
S.B : Bien sûr ! On est tous ensemble. Mais c’est ça qui est bon
Sco : on est dans la séquence dédicaces, c’est l’occasion de citer les noms des gens qu’on ne voit jamais et dont on ne parle jamais. Donc on déroule.
S.B : Dédicace à ma mère ! (rires) Non, non, non, mais on n’est plus. Camila Halima-Filali qui fait un super numéro, un nouveau personnage qui n’existait pas, qui joue la copine de Vince, pas trop envie de spoiler, mais elle danse, elle chante, elle joue. Y a Walid Afkir qui interprète deux rôles, qui joue la haine de son petit frère qui est décédé, et la haine du flic qui fait une bavure.
Sco : C’est là où il sort du second rôle qu’il y avait dans le film. C’est pour ça que je te le dis
A.F : Je pense que c’est vraiment lui qui porte la haine, dans le sens du terme…Il y a un avant et un après qu’il vienne dans le spectacle.
S.B : au début du show on est chill, et dès qu’il arrive, et qu’il s’exprime, ça nous change
A.F : Vince a déjà volé le flingue, mais il sait pas trop ce qu’il va en faire. Quand il voit Walid faire son rap, parce que son frère est à l’hôpital, là il sait ce qu’il va en faire. En tout cas, il a une idée. Mais aussi, je pense que, par exemple, la haine de Vince, de vouloir tuer un flic, je pense que c’est une haine un peu superficielle, dans le sens, je m’explique, c’est pas que c’est faux, mais c’est surtout un sentiment d’injustice, c’est de l’amour finalement je pense, qui porte Vince à vouloir faire un acte de haine. Alors que la haine représentée par Walid, le grand frère qui ne veut plus rien savoir, son frère est mort, il ne veut plus rien savoir, il a vraiment une haine bête et méchante
Sco : et une colère
A.F : une colère oui, et le chef de police qu’il représente aussi, il fait ce rôle miroir, qui a une haine raciste envers les jeunes de quartier, qui, sûrement, l’humilient, etc., toutes les choses qu’il dit, je pense que ça c’est la vraie haine qui gangrène notre société, qui a un problème beaucoup plus profond
A : Elle est très bien incarnée par Walid
S.B : Charly Bouthemy aussi, qui joue Astérix, pareil, quand il vient et qu’il nous rajoute sa touche. En fait, c’est un travail d’équipe, on n’est pas que tous les trois
Sco : C’est ce que je tenais à souligner
A.F : Les danseurs
A : oui, les danseurs, qui jouent aussi. Pour moi, c’est eux les plus gros couteaux suisses
Sco : Et donc, c’est l’occasion de parler des chorégraphes aussi
Sco : Parce qu’ils ont fait un gros, gros travail
A : Et moi, en travaillant dans ce projet, je me suis rendu compte, quand je voyais les danseurs, qu’eux, au final, jouent aussi. Ils jouent, mais avec le body language. Quand je les vois danser, ils incarnent vraiment ce qu’ils représentent. Et je me suis dit que les danseurs sont presque tous capables de jouer. Parce que quand je les vois danser et incarner la chose, il y en a pas mal qui jouent. Mais c’est vraiment des couteaux suisses. Et hier, je regardais de la vidéo du final, du morceau L’4mour à la fin, et je me suis rendu compte que ce qui donne vraiment cette énergie, c’est pas le fait que je chante seul. C’est de voir toute la troupe investie sur tous les moments. Toute l’énergie, toute l’ambiance. Donc il y a aussi ce travail de l’ombre. On ne se rend pas compte, mais il y a vraiment une énergie commune et un esprit
Sco : On s’en rend compte, puisque je vous en parle ! Je trouve que c’est pas suffisamment souligné
A : On ne se rend pas compte pendant qu’on le joue. Et à la différence aussi du cinéma, c’est que là, on a la vue d’ensemble. Donc on peut vraiment ressentir tout ce qui se passe dans la globalité.
Sco : Pour rester sur les différences, il y a aussi le noir et blanc qui ici est gommé. Forcément, il n’existe plus. Dans le film, c’est ce qui a apporté une touche artistique, mais qui permettait aussi de se focus un peu sur le fond du propos, le sujet, de pas être détourné par des couleurs ou autre, comme a pu l’expliquer déjà Mathieu. J’aimerais donc qu’on en vienne au propos de La Haine
A.F : Mais on a quand même essayé de respecter le noir et blanc sur ce spectacle, il y a une colorimétrie
Sco : Je vois tout à fait, on a eu l’occasion d’en discuter avec l’équipe, mais on n’est quand même pas sur le noir et blanc pur, par définition, parce qu’on ne peut pas.
Et donc, c’était pour revenir sur le propos même de la pièce. On va commencer par le “Jusqu’ici, rien n’a changé”, qui est la nouvelle baseline du titre. Est-ce que c’est un constat auquel vous adhérez ?
A.F : Bien sûr
S.B : Complètement
A.F : Je ne sais pas si “complètement”, parce que j’étais pas né à cette époque, mais apparemment, oui. En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est qu’aujourd’hui, ça existe encore. Ce propos là, cette problématique là, existent encore. Est-ce que dans les années 90, ils avaient plus de violences envers les jeunes de cités, est-ce que les cités avaient plus d’accès aux armes? Je ne sais pas. En tout cas, que cette fracture sociale et que ce manque de communication entre la police, les quartiers, existe encore, on ne peut qu’être d’accord avec ça
S.B : C’est pour ça qu’on fait des œuvres comme ça. C’est pour ça que c’est important d’en faire, pour faire une piqûre de rappel et montrer que, ouais, jusqu’ici rien n’a changé et que c’est peut-être un peu le moment que ça change.
A : Ça s’est peut-être même empiré.
Sco : On aura l’occasion d’en parler justement
A : Donc moi, en tout cas, à l’époque, quand je regardais le film, je le regardais pour le trait comique. J’étais petit, je regardais, voilà, ça fait rire
Sco : T’avais pas accès aux propos de fond
A : Je ne le comprenais pas et je ne le trouvais pas si intéressant à l’époque. On n’avait pas besoin de ça
Sco : On a tendance à oublier que ça part d’une bavure policière, que c’est le contexte. On se dit juste que c’est l’aventure de trois potes de quartiers qui traînent un peu
A : et donc aujourd’hui, on a besoin de l’exprimer, montrer qu’il y a des voix qui sont étouffées dans les quartiers populaires. Mais moi, en tout cas, à l’époque, je ne savais pas ce qu’était une bavure policière. Et là, on a pu le vivre. On a pu le vivre après le film. Donc rien n’a changé. Ça s’est peut-être empiré, parce qu’il y a encore des faits où la justice n’est pas faite.
Dan : Donc c’est en ça que ça n’a pas changé, c’est au niveau des bavures et des relations…
A.F : Il y a quand même une fracture
S.B : Maintenant il y a les téléphones, les réseaux, donc tout va beaucoup plus vite. Dès qu’il y a une bavure, c’est filmé, c’est envoyé, il y a aussi du positif, tu vois, mais je pense que le fond n’a pas changé, la forme peut-être, mais le fond est toujours le même
Sco : Et dans ce qui a un peu changé, en quoi est-ce que ça a changé ? Quel est l’état des banlieues, selon vous, à l’heure actuelle? Tu disais tout à l’heure que tu ne savais pas comment c’était avant. Si tu devais parler de l’état des banlieues, à l’heure actuelle, qu’est-ce que que vous diriez, tous les trois?
A.F : Moi, personnellement, je viens d’une banlieue, mais pas d’une cité. On fait pas mal de débats, de conférences, de dialogues, de contacts avec les jeunes de quartiers, partout en France, depuis qu’on est dans ce projet-là. Samy et Alivor vont te répondre de manière peut-être plus personnelle, parce qu’ils sont plus proches de leur cité. Mais moi, je pense qu’on manque de contention, de guider certaines personnes qui croient avoir une destinée négative, et qui du coup, glissent. Je pense que c’est un terrible manque de contention. Je pense que ça passe par l’éducation, la possibilité de donner des chances, et sur cette répétition sociale, comme quoi on est destiné à finir là où on a commencé
Sco : Tous les déterminismes sociaux qui se répètent
A.F : Exactement. Je pense que ces yeux fermés, des secteurs de travail qui n’arrivent pas à reconnaître toutes les qualités, parce qu’il y a énormément de qualités chez les jeunes de quartiers, les jeunes de cités, les jeunes de banlieues. Ce sont des jeunes qui ont été confrontés à l’adversité depuis très tôt, qui ont dû grandir avant l’âge, qui sont débrouillards, qui sont malins, qui arrivent à comprendre certaines situations, plus qu’un adulte même. Il y a énormément de qualités. Et en fait, je pense que l’éducation nationale en France a un petit problème. Je pense qu’elle ne voit que la discipline, la rigueur, le fait qu’on a appris sa leçon ou pas. Donc ça, c’est quelque chose de très important, parce qu’il faut du savoir, il faut intégrer du savoir. Mais moi, maintenant que je suis dans le monde du travail, je vois énormément de gens qui réussissent très bien, qui ont des gros salaires, et qui n’ont pas les qualités que demande l’école, qui ont d’autres qualités. Et il y a des jeunes de quartiers que je vois avec des qualités, et je sais qu’ils pourraient réussir. Il y a des gens qui ont peut-être 30 ans de plus qu’eux, mais qui ont déjà les mêmes manières. Donc, voilà, je pense que c’est mental. Il y a un plafond de verre qui est terrible, et qu’on leur met, et que, j’espère, avec des projets comme La Haine, on arrive un peu à casser.
S.B : C’est le but. Il y a même trop de laisser à l’abandon. Je viens d’un quartier et je suis assez jeune, et des fois, j’en parle avec mes potes, on est encore dans le truc où je pense avoir trouvé ma voie, mais je parle avec des potes à moi qui ont plein de rêves, des potes qui veulent devenir rappeurs, d’autres artistes, mais on leur a tellement mis dans la tête que “t’es pas bon à l’école”, ou alors “tu viens d’ici”, ou alors” tu t’appelles comme ça”, ou “ta couleur c’est ça, donc tu feras ça”. Et moi, je suis content de faire des projets comme ça, parce que moi-même, je le dis à mes potes, je viens du même endroit que vous et on peut plus y aller en fait. Je pense qu’on a un truc profond où on n’ose même plus y aller en fait. Il faut voir, ma conseillère d’orientation quand je lui ai dit “je veux devenir acteur”, elle m’a regardé comme ça, “tu vas aller nulle part”. Deux ans après je suis là quoi ! Elle est venue voir le spectacle, à la première elle était là, je l’ai insultée. Mais non (rires), enfin voilà, il faut leur redonner confiance, il faut qu’on ait confiance en nous et, le monde est à nous ! On est on fonce, on montre de quoi on est capable, et on essaye d’aller le plus loin possible, de casser les codes
Sco : Alivor, l’état des banlieues ?
A : Pour moi, jusqu’ici, rien n’a changé, même dans les quartiers. Quand tu viens d’un quartier, tu dois prouver deux fois plus. Tu dois être déterminé deux fois plus, il faut y croire. Et qu’on croit en toi ou pas, tu dois y croire. Il y a des gens qui nous découvrent à travers ce projet, qui découvrent les banlieues, ça nous donne une humanité, parce qu’on est souvent décriés dans les médias, on est plein de stéréotypes, plein de clichés. Les gens ne nous connaissent pas, on ne se connaît pas assez. C’est barricadé, c’est “moi, ma vie, toi la tienne”, “Vous, vous êtes bons qu’à faire ça.” On a pu voir avec les Gilets Jaunes, quand ils ont commencé à subir des confrontations avec la police, qui ont commencé à comprendre ce qu’il y avait, et malheureusement, les gens commencent à comprendre la souffrance quand ils commencent à la vivre. Je pense que quand on se comprend les uns et les autres, à partir de là, ça met de l’humanité, ça met de la sensibilité. Je trouve aussi ce projet intéressant parce qu’il n’y a pas que des gens de quartiers qui viennent nous voir. Pour la plupart des gens, y a même des gens habitués à venir voir des comédies musicales, et à travers ce projet ils apprennent à connaître des mecs de cité, ça enlève tous les clichés, ça enlève tous les a priori. Même nous, parce qu’à la fin, on parle avec ce genre de personnes, mais on se dit qu’ils sont cool. Quand on se croise dans la rue, on dit bonjour, elle sursaute la dame, mais là, enfin, on se prend dans les bras. Donc même nous, ça resserre des liens sociaux qui sont importants à mes yeux, parce qu’on vit dans le même pays, on vit les mêmes souffrances, même si on ne vient pas des mêmes lieux, quand il y a un truc politique qui tombe sur le peuple, c’est le peuple, ce n’est pas la cité, c’est tout le monde. Donc je trouve que le point le plus important, c’est de sensibiliser et de voir qu’on est dans le même bateau
Sco : C’était important pour moi de vous faire parler sur ce sujet, pour vous permettre aussi de vous faire un peu porte-parole, parce que j’ai un sentiment d’invisibilisation des quartiers, qu’on a de plus en plus, en dehors des médias comme BFM ou CNews, qui vont présenter une certaine image, leur représentation. Mais cette invisibilisation se fait aussi par le fait que les rappeurs qui étaient les porte-paroles le sont beaucoup moins à notre époque. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que t’es d’accord avec moi sur le fait que, avant, quand tu n’étais pas issu des quartiers, si tu écoutais certains rappeurs, tu pouvais te faire une certaine image de ce qu’était la vie en banlieue, que tu ne connaissais pas, et puis soutenir ou pas en fonction du propos que t’entendais. Là, quand l’essentiel des propos est tourné autour du « tu m’as quitté, je t’aime encore », forcément, on n’a plus cette visibilité là qui vient du cœur des quartiers. Donc la seule visibilité qu’on a sur les quartiers, c’est ce que BFM et CNews proposent, ce que les médias proposent, et donc les gens qui ne sont pas issus, ou qui ne traînent pas là-bas ne savent pas ce qui s’y passe, ne le sauront jamais
S.B : Oui, mais dans le « tu m’aimes encore, je m’as quitté », il y a la vision du mec de banlieue. Comment le mec de banlieue est amoureux, et je pense qu’un mec du 16ème et un mec de banlieue, quand ils se font quitter par une nana, ils n’ont pas la même émotion, donc je pense que même le « tu m’aimes encore, je m’as quitté », est intéressant dans le rap
A : Oui, l’expansion de la musique hip-hop peut être une porte pour découvrir ce qui va redorer le blason des quartiers. Aujourd’hui, le rap, c’est juste la mise en avant. On n’a pas envie d’entendre des mecs qui disent des bonnes choses. Medine, il y en a plein qui le découvrent encore, avec le morceau «L’4mour». Or ça fait des années qu’il prône ce genre de messages. Il y en a plein qui viennent et qui disent « Ah, mais Medine !”, eh ! ouvrez vos oreilles. Ça fait longtemps qu’il est sur le terrain. Ça fait longtemps qu’il combat
S.B : Arabian Panther !
A : Mais c’est juste la musique qu’on n’a pas envie de mettre en avant. Les médias, ils savent ce qu’ils font. Quand ils viennent et qu’ils mettent en avant ce qu’ils ont envie de mettre en avant des quartiers, ils savent pourquoi ils le font. Ils savent centrer un problème là où il n’y en a pas pour endormir un peu le peuple, sans faire le mec complotiste. Il y a des vrais problèmes dont on ne parle pas. Mais on va pointer le petit voleur et laisser Marine Le Pen tranquille. On va parler de Marine que quand il faut en parler, parce que tout le monde le sait. Mais on va regarder le petit mec qui fait rien et qui dérange en vrai personne. Donc je pense qu’on a encore des gens qui militent dans le hip-hop, mais qui ne sont pas mis en avant, et c’est moins la mode aujourd’hui. Mais y en a. Donc le jour où on a des médias qui ont envie de mettre en avant ça, peut-être que ça fera découvrir une partie de la population.
A.F : comme SKUUURT !
Sco : Bienvenue chez nous ! Medine a fait la dernière couv’ du magazine. Celle avant la vôtre. Et avant lui, Youssoupha.
S.B : Et ils travaillent avec nous
Sco : Tout à l’heure, tu parlais du téléphone, qui fait partie des insertions d’éléments modernes, qui rappellent qu’on est dans une autre époque désormais, mais aussi que des choses sont par contre immuables, comme le fait de se faire chier dans des endroits délaissés, et qu’on est vite dépourvu si on n’a plus de batterie, parce qu’on compense l’ennui par le téléphone, comme tout le monde
Dan : Et le téléphone, c’est aussi une nouvelle forme d’exposition à toutes les richesses dont on ne dispose pas en banlieue ou en quartier populaire, avec des tentations permanentes. Au final, est-ce qu’être soumis à la tentation quand elle s’accompagne de frustrations, ça n’amène pas à faire de plus en plus de bêtises et de plus en plus jeune aussi ?
A : Plus tu connais les choses tôt, plus t’es dans la merde, c’est ça que t’es en train de dire ?
Dan : C’est un peu l’idée
Sco : Ou plus t’es tenté tôt, et frustré tôt, et plus tu peux être mené à faire des conneries
Dan : Plus t’es chez toi et t’as rien à faire, tu peux pas trop bouger, partir en vacances, et tu vois des vidéos de rêve et t’es là « Pch, pourquoi moi j’ai pas ça ?” Est-ce que ça te pousse pas aussi ?
A : En fait pour moi, ce n’est pas tout noir et ce n’est pas tout blanc. Tu peux apprendre beaucoup plus vite et tu peux aussi te détruire beaucoup plus vite. Tu peux te construire beaucoup plus vite et ça aussi c’est l’éducation je pense. Mais oui. C’est comme le monde, il avance aujourd’hui à une vitesse pas possible. Il se développe à une vitesse pas possible mais il se détruit aussi à une vitesse pas possible. Le réchauffement climatique, c’est aussi l’avancée du monde. Et je pense que le téléphone, c’est cette image là, on peut aussi vite grandir que mourir avec ça. Moi je trouve que ce qui innove, c’est dangereux.
S.B : Je pense justement qu’il y a un truc bien avec le téléphone, si tu l’utilises bien. Regarde, les réseaux sociaux, les TikTok, Instagram, combien de mecs, du fond de leur cité, ont réussi à percer, à faire que leur musique marche ? J’ai un pote qui est en train de cartonner sur les réseaux, il a sorti un son sur TikTok et il se fait appeler de partout.
A.F : Ouais ça reste un outil. Je pense pas qu’il faut mettre le focus sur le téléphone.C’est un outil. Avec un marteau tu peux assommer quelqu’un, mais tu peux aussi construire une maison avec.
S.B : waouh ! je vais la garder celle-là ! (rires)
A.F : J’en reviens un peu à ce que je disais avant, c’est la contention, c’est des jeunes livrés à eux-mêmes. Après, je trouve que l’ennui dans les quartiers est totalement pas dépendant des téléphones. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a énormément de choses à faire dans les quartiers, il y a un esprit de famille déjà, un voisinage, ça c’est un truc de fou. Je pense que le téléphone, limite, c’est plus dans le 16ème qu’il a une place importante. Dans les quartiers il y a des fives, il y a des barbecues, on va dehors. Donc je pense qu’en vrai, il y a plein de choses sur lesquelles les quartiers ne sont pas à plaindre. Et c’est grâce à eux, c’est grâce à eux-mêmes et leur manière d’être, mais je pense que tout n’est pas noir, tout n’est pas sombre. C’est pour ça que La Haine est un film important, et une comédie musicale toute aussi importante, parce qu’il est vu à travers le prisme d’un jeune, à travers le regard d’un jeune. Quand on regarde en général les films qui parlent de la rue, les trois quarts du temps, elle est vue à travers la police. On voit tout en sombre, tout en noir, il y a des criminels ici, il y a du trafic de drogue, c’est une vision très policière. Et nous, on n’amène pas du tout cette vision là, nous on est dedans. On vit notre vie, on parle de Naruto, on s’éclate, on va à Paris, on va connaître les gens de là-bas, on voit qu’ils sont bourrés, on rigole. Il y a de ça aussi, dans les quartiers.
Sco : Et après il y a aussi les drames, qui sont le fond du propos, la bavure policière. D’ailleurs deux jours après l’annonce euphorique de La Haine Live, il y a eu la bavure autour de l’histoire de Nahel. Est-ce qu’à la vue du climat actuel, ça risque pas finalement de changer, mais en empirant ?
A : Qu’il y a 30 ans ? Bien sûr, pour moi oui
Sco : On parlait du fait que ça touche les plus jeunes, que les plus jeunes sont en tout cas de plus en plus mis sous les projecteurs par rapport à ce qui se passe autour de la violence, mais c’est aussi une réalité, au-delà de la mise sous les projecteurs
S.B : Mais moi je pense pas que ça empire, tu sais, pourquoi on pense que ça empire ? C’est parce que maintenant c’est filmé. Parce qu’il y a 30 ans quand t’avais des trucs comme ça, tu vois, si t’étais pas filmé, on ne voyait pas la vidéo du keuf en train de tabasser. Là aujourd’hui tu vois tout, tu as vu le mec ouvrir la fenêtre, aller dans la voiture, mettre une balle, et c’est là que ça te choque et tu dis “ah ouais ça empire”. Il y a 30 ans c’était pareil, mais on savait pas
A : Mais ce qui a empiré c’est de le voir, et de voir que ça avance pas
S.B : Ce qui a empiré c’est de voir le délire, voir que t’as un mec qui finit millionnaire avec une cagnotte
A : Une des choses qui a empiré c’est qu’aujourd’hui on peut voir ce que tout le monde pense. Quand tu traînes sur les réseaux, que quelqu’un s’est fait allumer
S.B : et que tu donnes un million de creux
A : En fait, il y a des choses que je n’arrive pas à comprendre. Quand tu vas sur internet, t’as l’impression tout le monde a la haine, que tout le monde tire sur tout le monde, “ouais mais c’est de la faute de l’autre, ouais mais il est mort, mais attends il a fait quoi pour mourir ?” “Ouais mais le keuf il a fait…” Pour moi c’est là où c’est grave. On ne cherche plus à humaniser, à essayer de comprendre. Il y a un mort quand même ! Il avait quel âge ? “Oui mais il a fait quoi avant ?” On s’en fout il est mort. Et ça c’est des choses qui peuvent nourrir la haine, même quand t’es chez toi
Sco : Ouais le côté “est-ce qu’il l’a pas un peu cherché ?”
A : Voilà, ça peut nourrir la haine, même quand t’es chez toi. Les réseaux ça peut nourrir la haine, que tu sois du côté du policier, ou du criminel, ou de ce que tu veux, et là je dis criminel et c’est pas le bon terme, je parle du mort, mais quand je dis criminel je parle d’un autre contexte, que tu sois du côté de la justice ou de l’injustice, ce qui peut te foutre la haine c’est les réseaux et qui peuvent te…”Attends ils m’aiment pas ?” C’est à travers les gens aussi qu’on arrive à savoir si on est aimé. Et si tu regardes les réseaux et tu dis “mais on m’aime pas, ok je vais tout tuer.” Ça aussi c’est une frustration qui peut pousser à la haine. Venez on sort dehors, venez on se rencontre, et on va se rendre compte qu’au final c’est pas les réseaux la vie. C’est pour ça que ce spectacle, quand je croise les gens, quand je les vois, quand je discute avec eux, je me dis il y a encore de l’humanité dans ce pays.
Dan : C’est comme ça qu’on sort du cercle vicieux ?
A : Ouais
A.F : Justement en parlant des téléphones et des réseaux, je pense qu’on est dans une génération qui se regarde de moins en moins, qui se mélange de moins en moins parce qu’en plus tu sais maintenant avec les réseaux tu as le truc de la publicité guidée sur tes goûts, donc en gros tu regardes un truc que tu as kiffé et tu vas être bombardé de pages insta ou de pubs qui vont dans le sens de ce que tu as écouté une fois et qui t’as convaincu une fois, donc on est de plus en plus convaincu d’une seule version, on écoute moins ce qu’il y a chez les autres, et du coup on rentre dans ce cercle vicieux comme tu dis, on reste dans notre vision des choses
A : Les algoritmes ça fout la merde
A.F : ça fout la merde !
A : Tu vas sur Twitter, tu regardes un truc de l’extrême droite une fois, t’as que ça, et tu crois que toute la France c’est ça, que tout le monde pense comme ça
A.F : Donc le mec qui était à l’extrême droite il y a 10 ans, il était d’extrême droite, mais il voyait quoi ? à la télé, plusieurs chaînes, plusieurs politiciens qui s’expriment, aujourd’hui le mec d’extrême droite il a des arguments très ficelés, il regarde même pas la télé le mec, il regarde les vidéos qui sont en rapport avec ce qu’il aime, il se remplit le bagage d’arguments mais il n’a aucune écoute sur les vidéos des mecs de gauche, du coup on a deux bouches et une oreille c’est ça c’est inversé, on parle beaucoup plus qu’on écoute parce qu’on remplit notre bagage ! (à Samy) Tu l’as kiffé celui-là aussi ? (rires)
S.B : Moins que le marteau
A.F : Je pense que c’est pour ça que ces projets là sont importants, parce que la discrimination et le racisme sont des choses qui s’enseignent, on apprend à discriminer, on apprend à dire “non mais c’est la faute de Nahel parce que…”, on apprend finalement ces choses là. L’amour aussi on l’apprend, et l’empathie, c’est des choses qui s’enseignent aussi, et nous quand sur scène on est en train de dire “mais regardez, regardez ce qui se passe, regardez d’où vient cette problématique”, il y a peut-être quelque part, en tout cas on l’espère, quelques personnes qui disent “ah d’accord je comprends maintenant, je comprends l’empathie, maintenant je connecte avec ça”
Dan : Et donc les messages véhiculés par cette comédie musicale c’est…
A : la justice, l’universalité, l’amour
A.F : L’amour, le mot de la fin
A : Qui sont des valeurs importantes, le vivre ensemble
A.F : je pense que l’amour ça englobe un peu tout ça, justice, vérité etc parce qu’il y a aussi le chef de police qui s’exprime
A : c’est très nuancé, c’est très nuancé
A.F : parce que nous on ne peut pas parler de communication si on est rattaché à une seule vision de pensée, on ne parlerait qu’à travers du jeune de cité. Le chef de police, la police, d’où vient cette animosité, autant que le jeune de quartier, d’où vient l’animosité ?
Sco : on peut modifier le prisme et avoir un autre point de vue aussi
Dan : avoir plusieurs points de vue et comprendre la globalité et tout le monde. Est-ce qu’à un moment le poids de l’œuvre d’une part mais le propos surtout vous a semblé trop lourd à porter ?
Sco : Vous deviez vous attendre à avoir ce genre de discussions, est-ce que vous vous êtes dit “est-ce qu’on va tenir la route ?”, parce que vous représentez quelque chose
A : J’en parle avec humilité quand même, avec ma sensibilité à moi, quand on parle on parle de notre propre personne, on vient pas en tant que Saïd, Hubert, et Vince. Je pense que ce qui est fort, c’est que je parle en toute modestie et ce qui me touche, si je le fais c’est parce que je défends une cause qui est importante à mes yeux, je me suis senti représenté par La Haine dans mon enfance, ça m’a structuré, et aujourd’hui si je peux le rendre à ma manière c’est une fierté
Sco : Est-ce que la limite de cette cause que tu cherches à défendre c’est pas de se retrouver en salle, finalement, et donc de ne permettre de distiller ce message qu’auprès de gens qui déjà peuvent se payer la place, se déplacer, contrairement à un film que tu peux voir un peu partout. Est-ce que c’est pas ça la limite, de ne vous adresser qu’aux gens qui peuvent venir ? Et est-ce que c’est pas une frustration ? Une captation est prévue ?
S.B : oui elle a été faite. Et il y a plein de trucs qui sont mis en place. On travaille avec énormément d’associations, on offre le maximum de places qu’on peut, on fait des tarifs réduits au maximum, en tout cas le producteur, la production, font un maximum de places réduites, et là on essaye de voir pour “rapeticer” le spectacle, aller jouer dans des banlieues, c’est ce qu’on essaye de faire…
A : puis on est conscient qu’on ne va pas changer le monde
S.B : On est obligé, on ne peut pas continuer à jouer à Boulogne même si c’est intéressant, et détrompe toi il y a beaucoup de mecs de banlieues qui viennent jusqu’à Boulogne et qui paient leur place, parce qu’ils sont intrigués par le truc, mais même nous on a envie d’aller ailleurs, je viens de Cergy, je kifferais aller jouer à Cergy, donc on essaye
A : et comme je disais on est conscient qu’on va pas changer le monde. C’est une limite qu’on a. Je viens en toute modestie, en tant que rappeur, mais si on peut changer un regard c’est déjà ça de fait.

Sco : Quelques mots sur la B.O. ? si on devait parler de l’impact des 2 B.O., celle du film et la nouvelle, c’était aussi un challenge parce que la B.O. aussi avait frappé les esprits à l’époque
A : Moi la B.O., celle de l’époque, je l’avais pas, j’avais juste des sons mais je savais pas que c’était la B.O. Il y avait “Sacrifice de poulet”, de Ministere A.M.E.R, puis il y a des morceaux à gauche à droite que mon frère écoutait, mais je savais pas que c’était la B.O. de La Haine, et quand on fait la comédie musicale on ne se dit pas qu’on fait la B.O., on se dit on fait la musique du spectacle, et la B.O. ce sont les artistes d’aujourd’hui, nous sur scène on représente, on interprète juste ce qu’ils ont écrit
Sco : Vous aviez entendu les morceaux avant de les interpréter, par leurs interprètes ?
A : Oui
Sco : Tendu, non ? Quand t’écoutes le morceau de Medine ou même les morceaux de Youssoupha, tu peux te dire putain faut que je les choppe…
A.F : En fait tout ça c’est un peu comme ce que tu disais tout à l’heure, si on sentait trop de pression pour faire la chose. Tu sais qu’à ce moment-là, quand on a reçu les sons, on était en phase de préparation, on était tous en travail, en tout cas je parle pour moi mais je pense que pour eux c’était pareil, moi je t’étais dans un tunnel. J’étais pas : “Ah ouais je vais reprendre Vincent Cassel, ah ouais on va représenter les banlieues !”. Si, un peu, s’il y avait une pression ça a été plus d’en bas, de vouloir bien représenter, de vouloir que les gens s’identifient et soient d’accord avec ce qu’on fait. Mais la pression de travailler avec des grands noms, même si j’ai énormément de respect pour tous ces artistes que j’admire énormément, mais on est en mode machine à ce moment là ! Là peut-être que maintenant avec un peu plus de recul on se rend compte, on se dit “waouh”. Mais en vrai, à ce moment-là, on se dit “Venez, je suis dans un combat, donnez-moi des munitions” on le voit plus comme ça. Autant dans la recherche du personnage de Vince que dans le travail on va bosser avec Akhenaton ‘Wahou c’est incroyable” mais 5 minutes après je vais dire “ok concentrons-nous, je viens de recevoir le truc” Comment je fais ses placements ? Il a des placements très d’époque. Je me suis réapproprié le truc, il faut que ça colle bien, il faut que ça sonne bien sur scène, on est en travail, avec Géraldine Allouche qui était notre coach vocal, on est très bien entouré aussi, on n’a pas le temps de s’arrêter pour comprendre ce qu’on fait
Sco : Ils vous ont fait des retours, les uns les autres ?
S.B : ils nous ont laissé de la place en vrai, ils nous ont dit “vous avez le fil rouge, on vous a écrit le texte, maintenant c’est à vous” interprétez-le comme vous voulez. Tu suis un peu la base mais après tu le fais un peu à ta sauce, tu as besoin d’être dans ton truc. Je n’ai pas le talent de Tunisiano pour faire un copier-coller de toute façon (rires)
Sco : Petit instant Spoil/ Pas Spoil. C’était important de livrer certains mystères du film ? la vache, le petit vieux, qui tire à la fin, etc…Vous y allez ou ça reste un mystère et il faut aller voir le spectacle ?
S.B : il y avait des questions auxquelles on était obligé de répondre.
Sco : ça aurait pu rester un mystère pour toujours
S.B : oui, frustrant quand même !
A : le vieux ça aurait pu rester un mystère
Sco : d’autant que plusieurs personnes avaient plusieurs interprétations
A.F. : nan, je trouve ça bien ! Pour le vieux, par exemple, je l’avais pas ressenti comme ça tu vois
S.B : moi non plus !
A.F. : et là, j’ai pensé “familles d’immigrés”, à” je suis en train de me plaindre alors que des générations derrière, mes parents, mes grands-parents ont perdu des boulons, ils ont perdu des potes”. Si, maintenant je le vois d’un autre œil, le vieux
A : même la musique enlève un mystère. Avec la musique tu comprends mieux les personnages, tu comprends ce qui se passe dans leur tête
Sco : tu rentres plus en profondeur
A : Voilà, t’es plus en profondeur chez eux. Hubert enlève une petite pudeur chez lui, dans le film je le trouve beaucoup plus taiseux, on a du mal à le cerner, juste on sait qu’il y a des choses qu’il n’aime pas, qu’il est très dans la justice, mais il est très taiseux. Mais avec la musique on comprend un peu certaines frustrations chez lui, qu’on voit beaucoup plus chez Vince dans le film, et avec la musique, chez Vince, je trouve qu’il y a une sensibilité, une fragilité, qui est plus mise en avant, et Saïd est toujours dans son personnage, fidèle à lui-même. Je trouve que la musique enlève des mystères et ça nous rapproche des personnages
Sco : OK, donc vous n’allez rien me révéler, merci !
Dan : nan mais c’est bien aussi !
A.F : faut venir, faut venir !
A : Où tu voulais en venir ? (sourire)
S.B : dis-le vu que t’as vu le spectacle ! Hubert tire sur le policier, le policier meurt, il va en prison, Saïd ouvre une épicerie, voilà tu veux tout savoir on te dit tout (rires)
Sco : Vrai ou faux ? On verra ça au Zénith de Lille, les 6 et 7 juin, pour que tout le monde puisse à nouveau se prendre une claque ! Merci beaucoup à tous les 3 et on se voit là-bas.
Dan : merci les gars !
Eux trois : merci à vous ! Skuuuuuuuuuuurt !
Scolti @scolti_g & Dan @dan_ayassou
Retrouvez la B.O. du spectacle, avec
M & Angelique Kidjo, Chico & José, Djam et TiMoh) “Vivre ensemble”
Youssoupha “La Haine d’un frère”
Doria & Sofiane Pamart “Le dilemme”
Proof “Le chant des partisans”
Youssoupha “La Haine d’un flic”
Akhenaton & Oxmo Puccino & Tunisiano “Vue d’ici”
Youssef Swatt’s & Clara Luciani “La Haine«
Et n’oubliez pas d’aller jeter une oreille sur la première B.O, avec :
Minister A.M.E.R / Sens Unik / IAM et Daddy Nuttea / Expression Direkt / Sté Strausz / La Cliqua / Mc Solaar / FFF / Raggasonic / Sages Po / Assassin)
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