Je préfère l’annoncer d’emblée, je n’ai rien lu de si bon depuis fort fort longtemps. Queens Gangsta aurait pu être un énième roman sans saveur sur les ghettos, il n’en est rien. Ici pas de banalités affligeantes, de lieux communs ou de clichés réducteurs. La force de ce roman tient à l’intelligence de son écriture. Aucun pathos, pas de larmoiement, d’embellissement ou de jugement. Peut-être sous l’influence miraculeuse d’un improbable Jésus en dreadloks, ce célèbre feuilleton criminel dès années 80 nous plonge dans un profond état de grâce. Avant même le développement de l’intrigue, la musicalité de l’écrit est à souligner. Ce n’est pas un rap que nous lâche l’auteur, mais le flow est au rendez-vous. Punchs, lyrisme, débit, véracité de la narration, le cocktail est explosif ! Karim Madani sait convoquer avec finesse chacun des ingrédients ayant contribué à forger les plus grands succès de l’âge d’or du hip-hop. Keny Arkana peut reprendre son souffle, un nouveau jour est né. Le rap a (enfin) retrouvé ses esprits et sa contestation tirée du fossé.
C’est au croisement des années 1980 que le journaliste nous embarque. Pour accompagner ce saut dans le temps, que du très bon ! Mobb Deep, LL Cool J, Ali Vegas, Nas, 50 Cent cognent les enceintes et plantent le décor. Tour à tour lascifs ou frappeurs, ces beats entêtant jalonnent et guident l’auditoire d’amateurs, de la fulgurante ascension à la vertigineuse chute de la Suprême Team. La Suprême Team…Célèbre gang américain jadis à la tête d’un très puissant cartel de drogue implanté dans le Queen’s (New-York) sur lequel régnaient Kenneth « Suprême » McGriff et son neveu, Gerald « Prince » Miller. L’histoire de jeunes noirs du South Jamaica aux parcours aussi « magiques » que chaotiques. Des délinquants particulièrement intelligents devenus des modèles dans le milieu du grand banditisme simplement parce que la politique Reagan ne voulait d’eux nulle part ailleurs.
Oui, c’est l’histoire de McGriff et Miller, mais à travers eux, celle de tous les jeunes de banlieues méprisés aux quatre coins du monde. La sonate de tous les gamins qui grandissent dans des zones de relégation où pauvreté, déscolarisation, racisme, discrimination, ostracisme et absence de choix régissent leur vie.
Barons de la drogue cupides, bandits sanguinaires , inflexibles bourreaux tels sont les membres de la Suprême Team. Du moins en apparence…Plus sûrement ni anges, ni démons mais tristes produits de leur époque et de leurs conditions de vie. La Suprême Team est emblématique d’un mal bien connu, le déterminisme.
Un ouvrage à vite se procurer!
Mathilde Jean-Alphonse
POUR COMMANDER : https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782743656614-queen-s-gangsta-karim-madani/
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