Scolti : Salut MAC TYER !
MAC TYER : Salut ! Comment tu vas ?
S : Ça va bien ! Bienvenue chez SKUUURT ! C’est un réel plaisir d’être aujourd’hui en compagnie du GÉNÉRAL ! S’il fallait te présenter, et je pense notamment au plus jeunes, je dirais : j’ai la chance d’être en présence d’une légende du rap français, qui après avoir fait ses armes en compagnie de Mac Kregor dans le groupe TANDEM a volé de ses propres ailes dans une carrière solo atypique, dès 2005, carrière étayée de 13 projets, si on cumule les albums et les EP’s, en 25 ans de carrière, c’est bien ça ?
M.T : Ouais c’est à peu près ça, ouais
S : À quel âge t’as commencé à faire les choses sérieusement et les envisager sous l’angle pro ? Tu dirais que ta carrière a commencé quand ?
M.T : Je ne me suis jamais vraiment trop pris au sérieux, parce qu’en fait j’ai toujours su, depuis très jeune, que j’allais être dans ce game, dans ce métier, mais je le savais tellement que quand c’est arrivé je n’ai même pas senti de satisfaction, je sais pas comment dire, je suis tombé dans le game mais je savais que j’allais être dedans, c’est arrivé jeune en plus. Pour moi c’est comme si j’ai toujours été dedans, avec une distance émotionnelle, tout en étant ancré dans la passion que j’avais, mais j’avais toujours une distance émotionnelle avec la dimension professionnelle.
S : C’est plus en regardant en arrière que tu t’aperçois que t’as une carrière qui se construit en fait, au fil du temps
M.T : C’est exactement ça.
S : Beaucoup de chemin a été parcouru depuis les débuts, et aujourd’hui je te reçois suite à la sortie de ton dernier album LA VIE DU TRIPLE OG, qui est en fait un album en 2 volets, et pour lequel on espère un 3ème. C’est prévu ?
M.T : C’est prévu

S : Ce qui me vient d’emblée après l’écoute de ce double album, c’est que j’ai le sentiment de découvrir un MAC TYER plus apaisé. T’as réussi à éteindre ta colère, ou juste à la maitriser ?
M.T : Je suis sur la route de la maîtrise, mais c’est pas facile, on entend dans l’album que j’essaye de nourrir un peu ce sentiment de paix à travers mes lyrics, parce que le rap a toujours été une forme de thérapie pour moi, donc à chaque fois que j’essaie d’atteindre un nouveau step émotionnel dans ma vie je le mets aussi un peu dans ma musique pour que ça m’aide, et j’essaie d’être sur la route de la paix, de la stabilité mentale
S : Et tu la trouves où et comment, cette paix ?
M.T : Je la trouve en fréquentant parfois des endroits un peu plus naturels, moins urbains, souvent je voyage dans des endroits où il y a beaucoup plus de nature, j’ai beaucoup enregistré dans ces conditions, là où il y a beaucoup plus de nature, là où il y a la mer, là où il y a tout, et ça change tout. Quand t’es souvent à l’étranger et que t’y enregistres, ça joue dans ton mindset.
S : Ouais, ça le modifie c’est sûr. Et dans les différences avec les autres projets, je relève aussi que dans ce dernier album tu chantes plus, notamment dans le 1er volet, alors que tu rappes plus dans le 2ème, mais sur plus de musicalité. L’ensemble donne quelque chose qu’on retrouve dans le rap actuel. Est-ce que c’est une façon pour toi de t’adapter et d’être dans l’air du temps ?
M.T : En fait, c’est après coup que je me suis rendu compte que dans la 1ère partie il y avait plus de morceaux chantés que dans la 2ème, parce que je m’étais pas focalisé sur le fait de chanter ou pas, je m’étais focalisé sur la musicalité entre le 1er et le 2ème, et sur ce qui est dit dans les textes. Je trouvais que le 1er expliquait plus l’endroit d’où je venais, jusqu’à où j’en suis, et dans la partie 2 c’est plus ma nouvelle quête, la route que j’essaie d’emprunter, celle où il y a un peu plus de paix. C’est plus comme ça que j’ai choisi les titres sur les différents volets, et je me suis aperçu que dans la partie 2 je rappais plus, mais qu’il y avait plus de musicalité, et que les thèmes de la partie 1 étaient plus rue mais avec plus de sons chantés. J’ai pas fait exprès. C’est un truc que j’ai ressenti par la suite. Moi, je l’ai travaillé autrement

S : Et en parlant de l’air du temps, comment tu regardes et tu écoutes la nouvelle génération du rap FR ?
M.T : Je trouve qu’il y a beaucoup de variétés qui me parlent. Plus le temps avance, plus j’ai des sons qui me parlent. Parce que j’ai toujours été quelqu’un d’un peu avant-gardiste. Aujourd’hui, il y a des gens qui excellent dans le domaine dans lequel ils sont. Par exemple, j’ai écouté le dernier album de Tiakola il y a à peine deux jours, et j’ai vraiment aimé. Il y a un vrai travail, il y a de la musicalité, il s’est un peu plus pris la tête pour les textes, il s’est positionné en tant que leader d’un mouvement et je trouve ça bien. J’aime bien le mouvement que les Marseillais font entre eux aussi. J’aime (clips sur les liens) Freeze Corleone, Leto, Ninho. Je trouve qu’aujourd’hui il y a pas mal de rappeurs différents.
S : Et t’es très au fait de ce qui se fait
M.T : Ouais, j’écoute pas tout, mais j’écoute plus ceux avec qui je pense avoir une liaison un peu artistique, et que ça puisse me parler. Avec les 25 ans de carrière que j’ai eu j’ai plein de petits frères aujourd’hui qui sont des gros rappeurs, mais je sais qu’ils sont liés un peu à moi et je l’entends sur certaines petites choses, et je pense que c’est pour ça que j’arrive à écouter quand même certains artistes, tu vois ?
S : Ouais. Et qu’est-ce qui te différencie des autres rappeurs ? Pourquoi le Général est une légende ?
M.T : Peut-être parce que j’ai donné beaucoup de ma personne pour faire évoluer ce milieu, et j’ai aussi été un artiste indépendant dans une ère où il n’y avait pas trop d’indépendance. Aujourd’hui, c’est normal pour un artiste d’être plus ou moins indépendant, mais à l’époque où j’avais leur âge, le rap français était vraiment fermé. On ne laissait pas trop les indépendants s’exprimer. Il y avait plus de valeur à être indépendant à l’époque, parce que c’était pas quelque chose que tout le monde voulait
S : C’est ce qui fait que tu es le triple OG aujourd’hui, parce que triplement débrouillard
M.T : Exactement

S : T’as toujours été en indé, t’avais ton studio, La Planque, dans ta cité
M.T : Exactement. J’ai toujours été débrouillard, c’était du hustle perpétuel. Je faisais de la musique en faisant du hustle perpétuel. C’est pour ça que j’ai toujours eu une distance avec la musique, que j’ai pu durer, que j’ai toujours pu avoir de l’inspiration. Parce que lorsque t’es indépendant, t’as pas envie de t’ennuyer. Donc, je pense que c’est ça qui pousse ta créativité. Quand t’es indépendant, tu fais ce que tu veux. Tu te dis « si je vais en cabine, je vais faire un truc que j’ai déjà fait il y a cinq ans ? », ça ne m’intéresse pas. Donc, t’es toujours obligé de te renouveler pour ne pas t’ennuyer en studio. Et c’est bien, parce que tu t’auto-challenges
S : Et est-ce que le fait d’être en indé tout au long de ta carrière n’a pas constitué une limite ? Ou au contraire, est-ce que c’est ce qui te permet d’être sans limites et donc durable aussi ?
M.T : Je pense qu’il y a deux aspects. Il y a l’aspect business, pur, et il y a l’aspect purement artistique. Et je pense qu’au niveau du business, ça peut être très souvent limitant. Parce qu’on sait très bien que lorsque tu veux vraiment un très gros succès, il faut quand même que tous les voyants soient un peu au vert. Et mes choix parfois ne convergeaient pas dans le même sens que tout l’établishment, que le système de la musique. Et d’un autre côté, je pense que j’ai tellement eu l’habitude depuis le début…vu qu’avec le groupe Tandem, qui était un groupe à polémiques, j’ai dû faire face à une auto-sollicitation perpétuelle pour m’en sortir. Donc je me suis habitué. J’arrivais pas à avoir un autre scénario. Je me suis habitué à ça jusqu’à ce que le rap devienne mainstream dans l’industrie. Ce qui fait que j’apprends à avoir les nouveaux réflexes, les réflexes d’un monde qui accepte le rap et où le rap aujourd’hui est devenu une grosse industrie. Et ça, pour moi, ce sont des nouveaux mécanismes psychologiques auxquels je dois m’adapter. Parce que j’ai toujours eu l’habitude de m’auto-solliciter, travailler en autarcie, d’être dans mon studio
S : Alors justement, ça change peut-être des choses parce qu’on sent une forme de mue avec ce nouvel album. Tu parlais tout à l’heure des 2 parties qui se différencient, comme si un nouveau MAC TYER arrivait, comme si t’annonçais que ça allait être comme ça désormais. Quels sujets t’as voulu aborder ou développer dans La vie du Triple O.G.?
M.T : J’ai voulu amener petit à petit…C’est pas encore développé à son maximum…mais des thèmes comme comment vieillir dans le rap, ou le savoir-vivre, ou savoir dire officiellement dans un texte qu’on peut chercher la paix, qu’on essaie de chercher la paix, qu’on veut passer des bons moments avec nos familles. Un nouveau prisme dans le lyrics que j’essaie de partager
S : Et d’assumer aussi ce genre de propos
M.T : Exactement. Assumer. Et je pense que c’est un nouveau style de rap qui va commencer à devenir à la mode dans les prochaines années parce qu’il y a pas mal d’artistes qui commencent à dépasser l’âge de 35 ans. Et s’ils aiment la musique et qu’ils veulent en faire longtemps, ils iront tous vers cette thématique. Donc là, moi je le fais, je fais les bribes de cette thématique en espérant la développer de mieux en mieux
S : Tout en te réconciliant avec toi-même et en assumant un peu plus ce que t’es profondément aussi
M.T : Exactement, exactement
S : Socrate, le philosophe antique, disait « connais-toi toi-même ». Où en est Socrate aka. MAC TYER, dans sa construction ? Tu commences à y voir clair ?
M.T : Ouais, je me connais, je me connais. J’ai appris vraiment à me découvrir. Surtout depuis le Covid, j’ai vécu à l’étranger, je me suis mis à l’écart pendant plusieurs années. Là, j’ai envie de revenir à la grande ville et c’est ça qui m’a permis de me trouver. J’ai voyagé à l’intérieur de moi, j’étais beaucoup face à moi-même et ça m’a beaucoup aidé.
S : Ouais, y a aussi cette espèce de césure avec la street aussi
M.T : Exactement.
S : Parce que dans Derrière tout ça, tu dis « je suis dans le game pour éviter la street ». On comprend que la musique a pu t’éloigner de la rue, mais on garde l’impression que t’as pas tout réglé avec la street. Et d’ailleurs, tu ne te lasses pas de répéter que « c’est la street, mon pote », tu le dis dans plusieurs morceaux. Il y a une forme de tiraillement qui semble traîner. Est-ce que c’est « street un jour, street toujours » ?
M.T : Est-ce que c’est « street un jour, street toujours » ? Surtout quand t’as fait la majeure partie de ta vie comme ça ! (rires) C’est pour ça que je te dis que c’est une thérapie pour moi ce que j’ai fait dans la partie 2. C’est un peu plus musical, mais les textes essaient de sortir un peu du truc. Même dans les 2 parties en fait, j’ai fait ça. Mais c’est un travail que je fais sur moi-même
S : Et c’est dur de couper le cordon
M.T : Ah, c’est dur de couper le cordon ! Ça veut dire que malgré le fait que je fasse plein de choses…tu sais, je suis un homme d’affaires en vrai, je fais plein de choses, je suis en Afrique et tout. Mais en fait, je pense que ce qui m’a amené à savoir être autodidacte, avoir cette capacité de pouvoir m’adapter quel que soit le milieu que je fréquente, c’est la street qui me l’a appris. La street m’a appris le hustle. Et ce hustle associé à mon intelligence a créé ce que je suis aujourd’hui.
S : C’est aussi pour ça que t’as décidé d’aller vivre en Espagne ? C’était pour faire une coupure nette ?
M.T : Exactement. Mais en fait, je voyage beaucoup. J’étais aussi beaucoup à Paris. Et je suis beaucoup en Afrique. Mais ça m’a beaucoup beaucoup aidé d’être en Espagne parce que ça déjà, vivre au soleil toute l’année, ça change tout. Prendre le temps de faire des balades à la mer, ça change tout. Alors que tu vois, je suis un vrai produit urbain. Et donc, j’ai pris de nouvelles habitudes. Et après, ces nouvelles habitudes sont ressorties dans les textes

S : Tu rappelais que t’es aussi un homme d’affaires. T’es pas juste un mec issu de la street qui fait du rap, t’as ces différents business, mais t’as aussi un réel engagement auprès d’associations. Le business, et cet engagement, ça révèle un esprit combatif. Est-ce que cet esprit combatif te vient d’un esprit de revanche ?
M.T : Cet esprit combatif vient d’une éducation. Ça veut dire que quand j’étais très jeune, adolescent, ou moins de 10 ans même, de ma petite enfance à l’adolescence en fait, j’ai été éduqué par des artistes qui ont, eux, été éduqués par des révolutionnaires. Quand j’étais petit, je voulais leur ressembler. On ne peut pas être artiste pour rien et on ne peut pas utiliser nos vies pour rien. On a des combats à mener, on appartient à des communautés qu’on doit défendre. C’est comme ça que j’ai grandi en fait
S : C’est là qu’on mesure l’importance que peut avoir un artiste sur les gens
M.T : Ah ouais ! J’ai toujours dit que chaque artiste est le fruit de la culture avec laquelle il a grandi. Et moi j’ai grandi avec la culture d’artistes qui faisaient bouger les lignes, qui étaient un peu révolutionnaires dans l’âme, et on ne s’identifiait qu’à des révolutionnaires, face à la société, c’était comme ça les artistes de l’époque, ça a duré au moins 20 ans les artistes comme ça. La fin du prime des artistes révolutionnaires c’est la fin des années 90, mais ça a duré pendant 20 ans avant, donc j’ai grandi en ne voyant que des artistes comme ça, ou en voyant des acteurs révolutionnaires, en regardant des Nelson Mandela, Malcolm X, Fela Kuti, Renaud, ou Charles Aznavour, qui quand il était très jeune n’avait pas sa musique reconnue à sa juste valeur, sa carrière, sont talent, ont été reconnus bien plus tard, on l’a vu chanter vieux des musiques qu’il a écrites quand il était beaucoup plus jeune
S : Et cette combattivité que tu as est liée à ton esprit fédérateur aussi ? Parce que t’es quelqu’un de fédérateur
M.T : Exactement, quand je suis arrivé dans le rap, je suis arrivé très fédérateur, j’ai fait la trilogie, j’ai fait des compils, je mettais mes grands frères et mes petits frères associés dans des musiques, ça veut dire que j’invitais dans mes compils les artistes que j’avais pu écouter plus jeune, jainsi que les nouveaux artistes qui venaient d’arriver, pourtant j’étais jeune et je me mettais déjà dans une position de leader, donc j’ai toujours été fédérateur
S : C’est dans cet état d’esprit que tu es allé chercher les feats de l’album ? Le but était de fédérer, partager ?
M.T : Ouais, c’est quelque chose qui s’est mis en place à partir des projets précédents, c’est à dire les NOIR, la trilogie. C’est là que j’ai commencé à avoir tous les jeunes de la nouvelle génération qui m’entouraient et qui m’accompagnaient sur les titres parce qu’eux-mêmes commençaient à grandir et c’est toute une génération qui a grandi plus ou moins en m’écoutant, et c’est des gens avec qui j’ai un feeling facile. Depuis que j’ai fait les NOIR, j’ai enchaîné plein de morceaux avec des jeunes de la nouvelle génération et avec qui c’est plus fluide qu’avec des artistes avec qui j’ai pu chanter quand j’avais 25 ans
S : C’est toi qui est allé les chercher ou ils viennent aussi vers toi ?
M.T : Ils viennent aussi vers moi, ce sont des artistes que je connais humainement, qui me disent tout le temps, « So, dès que tu veux qu’on fasse un morceau, on le fait ! »
S : C’est pas juste des mails qu’on s’envoie dans le cadre d’un projet
M.T : J’ai vraiment un rapport de grand frère / petit frère avec pas mal d’artistes du game, et il y en a beaucoup qui me proposent de passer, « viens on se fait un titre ! ». Il aurait pu y avoir beaucoup plus de feats qu’il y a déjà sur ce disque. Plus le temps passe plus je ressens le travail que j’ai pu effectuer durant toutes ces années, grâce à la nouvelle génération. C’est eux qui me font ressentir le travail que j’ai fourni

S : Dans ce double album j’ai une frustration. Pour moi, t’as probablement les meilleures intros et outros du rap français. Je pense aux intros de D’où Je Viens, Hat Trick, C’est La Street Mon Pote ou aux outros de Je Suis Une Légende et Le Général. Pourquoi tu l’as pas fait là ?
M.T : Parce que c’est pas le même état d’esprit dans lequel j’ai construit. Pour réussir à faire ce type d’intros, il fallait être l’ancien Socrate
S : Avec l’ancienne casquette
M.T : Ouais c’était avec l’ancienne casquette. Et si je m’étais emporté dans ce sentiment, j’aurais pas pu créer la mutation. Je voulais assumer 100% le nouveau sentiment que j’essaye de nourrir. Et comme t’as dit, tu sens dans l’album que je suis tiraillé. Donc à tout moment, je peux me laisser emporter et laisser mes fantômes prendre le dessus et faire comme d’habitude. Et c’était important pour moi d’essayer de nourrir ce nouveau prisme et je pense que c’est pour ça qu’il n’y a pas ce type d’intro d’album
S : Je reviens sur le morceau « Derrière tout ça », qui pour moi est le morceau qui raconte le mieux MAC TYER et sa vision, dans cette transition dont tu parlais. Parce qu’il y a la plume, ok, mais il y a aussi l’approche qui souligne le revers de la médaille, ce qui se cache derrière différentes choses que tu listes, qui vont du quotidien à l’industrie, en passant par la street. Et pourtant quand j’ai vu le clip, je me suis dit « Rah…encore ! » Parce qu’il y a plusieurs refs aux marques de luxe dont on voit les logos. Je voulais savoir comment tu vois ce rapport au luxe qu’ont les gens qui pensent que c’est un signe de réussite ?
M.T : Aujourd’hui je suis plus dans le quiet luxury qu’autre chose, mais je sais que quand j’étais plus jeune, je faisais partie des premiers rappeurs qui mettaient des marques de luxe quand c’était pas trop la mode dans le rap. Et c’est vrai qu’aujourd’hui je ne vois plus les choses de la même manière. Avant c’était une manière, dans les années 2000, de marquer la différence. Je me rappelle même d’une actrice qui était venue durant un de mes clips et qui m’avait vu habillé, moi j’étais classe, et qui m’a dit « c’est vous l’artiste ? ». J’ai dit « oui c’est moi l’artiste ». Elle m’a dit mais vous n’êtes pas encore habillé en tenue de rappeur ?
S : T’étais en civil, quoi (rires)
M.T : Et bien exactement c’est ce qu’elle m’a dit ! Elle m’a dit « ah vous êtes en civil là ». J’ai dit « comment ça, je ne comprends pas, je ne suis pas en civil, je suis comme je suis ! ». Et en fait c’était ce stéréotype de rappeur que je détestais, c’est pour ça que je me suis mis à taper dans les marques de luxe. Mais vu que maintenant le luxe s’est emparé du rap, il n’y a que des rappeurs habillés par des stylistes. Ça enlève l’authenticité avec laquelle je mettais les marques de luxe il y a un peu plus de 20 ans
S : Mais est-ce que tu ne trouves pas qu’il y a un côté dangereux à entretenir l’illusion que réussir sa vie c’est porter du Fendi ou du Gucci ?
S : De choses vraies en fait
M.T : Pour moi, à partir du moment où même une personne qui n’est pas une amoureuse du luxe, et juste parce qu’elle est signée en maison de disques, se fait payer un styliste pour être habillée avec des marques et laisser croire qu’elle a un amour du luxe, ça crée la désinformation. Parce que les petits jeunes ne voient pas ça. Ils voient qu’un rappeur qui perce, s’il met du Fendi c’est que ça y est il a réussi. Donc t’as raison, je trouve que c’est vraiment pas bon. Mais vu que maintenant le rap est devenu une industrie et que l’ensemble du système l’accepte, et bien voilà, ils nous utilisent pour porter leurs vêtements et les petits jeunes ne le voient pas
S : Ouais, et il y a une boucle qui se met en place, et qui empêche peut-être de véhiculer certaines valeurs, autour de choses simples et vraies. Tu parlais de la nature tout à l’heure par exemple. Mais y a aussi un repas entre amis, la tristesse suite à un décès ou alors une fête dans laquelle on danse sans juste chercher à se montrer. Est-ce que ce n’est pas ce genre de choses qu’il faudrait plus mettre en avant finalement ?
M.T : C’est ça qu’il faut mettre en avant. J’ai fait un morceau dans la partie 2 qui s’appelle Full Access. C’est un morceau en 2 parties. Et je dis que ce qu’il faut faire c’est une famille, se marier. Et c’est comme si j’étais en train d’imaginer un repas ou un moment entre amis, où ça parle de paix, de mariage, et de lifestyle

M.T : Exactement. C’est un morceau où je suis encore tiraillé. Dans la 1ère partie c’est un peu solaire, musical et je raconte ça. Et dans la 2ème partie c’est un peu encore d’où je viens. Et en fait, c’est vraiment pour montrer que c’est à ça qu’il faut aspirer. Il y a un morceau qui s’appelle Ben Laden dans la partie 1. Dès que je commence je dis « ouais du côté de la lumière j’ai basculé ». Je commence à accepter la lumière alors qu’avant je me complaisais à être un prince des ténèbres. Alors que là j’ai vraiment besoin du solaire pour me nourrir. Et quand j’avais 20 ans, je faisais pas de musique durant l’été, alors qu’aujourd’hui j’ai besoin de soleil pour être inspiré. C’est complètement différent.
S : Alors puisqu’on est d’accord sur le fait que la réussite c’est pas de porter du Gucci, c’est quoi la vraie réussite ?
M.T : La réussite est dans la tête. Parce que chacun a son propre objectif. À partir du moment où tu veux rentrer dans une pensée collective et essayer d’associer ton propre bonheur à un bonheur prédéterminé par la société, tu ne vas jamais trouver ton vrai bonheur finalement.
S : Qu’est-ce qu’on doit laisser de soi durant son passage sur Terre MAC TYER ?
M.T : Il faut essayer d’être le plus inspirant possible pour les gens qui nous entourent
S : Et là tu penses à ceux qui t’ont inspiré ? Ceux qui ont laissé une trace ?
M.T : Exactement. Parce que pour moi essayer d’être inspirant c’est la chose qui survit à ta propre vie, qui survit à ta mort. C’est ce que tu as laissé dans le cœur des gens. C’est toute l’inspiration que tu leur as transmise. Alors que l’argent ça se dépense. Aujourd’hui lorsque tu fais des cours d’histoire, la traçabilité de chaque chose est culturelle. Pour savoir comment vivait telle civilisation il y a 300, 1000, ou 3000 ans, tu regarderas la traçabilité culturelle de leur système, de leur mode de vie. Et c’est tout ce qui reste en fait.
S : Toi t’as déjà fait le taf concernant la trace que tu laisses. Parce qu’il y a ton oeuvre rapologique que t’étoffes encore avec ce nouveau double album, La vie du Triple OG. Ainsi que tout ce que tu as déjà accompli. Et merci pour ça MAC TYER
M.T : Merci, merci. Et vraiment merci de m’avoir invité pour cette interview
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